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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire
Autoren: Zoé Oldenbourg
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tenait déjà, debout, avec ses neveux et écuyers. De la litière, sortit d’abord une demoiselle blonde parée comme une châsse qui tenait dans ses bras un petit chien blanc ; puis deux grands lévriers roux, lestes et sveltes, sautèrent par terre en frétillant des queues et des museaux. Puis enfin, le Gros parut lui-même, et quand il eut posé ses deux pieds sur le sol, toute la litière s’ébranla et grinça sur ses essieux, et les rideaux de toile rouge tremblèrent comme sous un coup de vent.
    L’homme était si grand que tous les autres parurent, du coup, comme des enfants ou de tout jeunes gens ; il les dominait de la tête. De ses épaules et de sa poitrine une longue tunique verte tombait en plis lourds et sa belle tête carrée, grosse comme un boisseau, était relevée par les plis de graisse du fort menton rasé et fendu au milieu par une fossette verticale. Les yeux lourds et clairs s’abaissèrent lentement sur Joceran, qui, noir, maigre et agile, paraissait un lévrier à côté d’un taureau.
    Joceran, devant son gros cousin, devenait obséquieux par plaisir, et mettait sa maison sens dessus dessous pour le recevoir ; il n’y gagnait rien, pourtant, et il ne devait pas d’argent à Herbert. Mais il avait sa vanité de parent pauvre et nulle part Herbert n’était mieux servi qu’à Puiseaux. Après les compliments d’usage, il le mena au bain, où dame Brune le servit elle-même, aidée de ses filles, tandis que Joceran, affalé sur un banc à coussins, le distrayait par ses commérages.
    De leur petite chambre où la dame les avait fait monter, Les deux demoiselles du château regardaient la cour, les champs, et la forêt. Ida, penchant sa grosse tête blonde sur le rebord de la petite fenêtre, contemplait avec curiosité les belles amies du cousin Herbert : debout près du puits, elles riaient très haut, et arrangeaient leurs cheveux et leurs ceintures. « Elles ont de belles robes, dis donc, disait Mainsant, penchée sur l’épaule de sa cousine, regarde la blonde, regarde, regarde ! — Elle en a des colliers ! dit Ida, comme une sainte Vierge en procession. » La blonde, grande et mince, avec une immense tignasse de cheveux très bouclés, rejetait derrière la tête ses fins bras blancs, et s’étirait en bâillant ; sa jupe de mousseline rouge, très plissée, était bordée d’un lourd galon brodé d’or. « Tu voudrais être habillée comme elle, dis ? » demanda Mainsant. Ida fit la moue. « On lui voit toute la poitrine à travers sa chemise. Ce n’est pas décent.
    — Bien sûr ! C’est une damnée. Et on dit qu’elle n’a que dix-sept ans. — L’Allemande ? Mais ça fait cinq ans au moins qu’elle est chez Herbert ! — Le beau galon ! dit Mainsant, il en a fallu du travail, pour le broder. » Ida soupira, et secoua doucement ses lourds cheveux fauves. « Tiens, dit Mainsant, voilà Ernaut qui te regarde. » Ernaut, debout, le dos au puits, fixait des yeux la petite fenêtre carrée d’où émergeaient les deux jeunes têtes, la blonde et la brune. Ida fronça les sourcils et s’écarta de la fenêtre, et Ernaut regardait toujours, fasciné, imaginant Dieu sait quel paradis de fraîcheur et de pureté derrière ce carré sombre, dans cette chambrette où se cachait sa jeune fille aux yeux d’or et aux cheveux de blés mûrs, le puits de joie, l’eau fraîche – et il avait si soif, et depuis si longtemps !
    Après laudes, Joceran servit à ses hôtes un léger repas du soir ; Herbert mangeait toujours en grande cérémonie, et ses deux bâtards, Ernaut et Pierre, le servaient, tenant ses manches, découpant la viande devant lui, remplissant sa coupe. Sa femme se contentait de partager avec dame Brune un plat de fromage et d’oignons, avec de la bière et des fruits secs. La soirée était si douce que les jeunes gens étaient sortis dans la cour pour bavarder un peu sur la margelle du puits.
    Joceran, assis en face de son cousin, les coudes sur la nappe, la joue gauche plissée sur son éternel sourire en biais, écoutait les deux bâtards se disputer à qui couperait la viande le premier : ces deux garçons se jalousaient depuis toujours, le père les élevait comme deux coqs qu’on dresse pour se battre. « Vous avez deux beaux fils, cousin, dit Joceran, et qui seront bientôt chevaliers. » Herbert sourit. Il avait un sourire lourd, sans gaieté, seules ses lèvres charnues se déplaçaient.
    « Je serai bien content
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