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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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années durant pour
que cesse cette guerre stupide entre son époux Raymond des Baux et le comte de
Barcelone, Raymond Bérenger. Elle les avait suppliés de se liguer contre les
Turcs et les Arabes. En vain. Durant l’année qui venait de s’écouler, elle
avait grimpé à cinq reprises pieds nus et en robe de bure au sommet de la Sainte-Baume, s’était allongée les bras en croix des nuits entières dans la grotte de sainte
Marie Madeleine, avait sommé les anges de mettre fin au conflit. Rien ne s’était
passé. Alors, elle avait fait appel au pape Eugène III et à l’empereur
Conrad qui étaient demeurés sourds. Elle les soupçonnait aujourd’hui de guetter
le moment de sa défaite afin de se partager les restes de son fief. Les hommes
continuaient à s’entre-tuer sur les terres de Provence. Sa belle Provence, avec
ses milliers d’oliviers, ses innombrables vignes, ses mers de blé mêlant leurs
vagues blondes sous les castels et les villages ocre, était toute baignée du
sang des chevaliers.
    Une grande honte doublée d’un désespoir sans nom s’empara d’elle.
Elle aurait voulu se trouver à mille lieues de la Provence, aux côtés des guerriers de la deuxième croisade, et mourir pour la bonne cause en
défendant le Saint-Sépulcre et le royaume de Jérusalem. Au lieu de cela, elle
se damnait pour une question d’héritage. Elle prit le seul objet de luxe qu’elle
avait emporté dans son périlleux voyage, un miroir byzantin orné de croix et de
pampres, et se contempla.
    Dur était le visage. Taillé comme la face d’un heaume d’acier.
Durs étaient les yeux bleus rougis par les nuits d’insomnies et les pleurs de
rage. Nombreuses étaient les rides, fines autour des lèvres, profondes sur le
front où luisait une cicatrice gagnée à une bataille. Une pierre lancée par un
frondeur espagnol, se souvint-elle. À quarante-six ans, elle ressemblait de
plus en plus à sa mère Gerberge, cette louve qui, de son vivant, jouissait de
voir les siens s’entre-déchirer.
    Elle jeta brutalement le miroir avec l’espoir qu’il se brise,
mais il s’enfonça dans l’épaisseur des peaux d’ours qui recouvraient la terre
battue.
    — O Douce ! Douce, où es-tu ? se
lamenta-t-elle en pensant à sa sœur aînée.
    Elle tourna sur elle-même comme pour chercher cette sœur
morte dix-huit ans plus tôt. Elle la chercha au-delà des plis sombres de la
tente, fermant les yeux. Elle se souvint des Baux, des robes blanches, des
couronnes de roses, des bouquets de lavande, des rires et des amours d’enfance.
En ce temps-là, elle parlait aux oiseaux, aux fées dans les buissons. On l’entendait
piailler dans le vallon d’Entreconque où elle jouait avec les filles et les
garçons du village sans penser à mal, croyant que le monde était pareil à leur
riche Provence où il n’y avait ni mendiants ni brigands. Les adultes de ce
temps-là parlaient de la délivrance de Jérusalem et du retour annoncé de Jésus.
L’humanité entrait dans une ère de félicité.
     
    Mais il y eut un temps, contrairement aux espoirs enfantins,
où le mal s’ourdissait dans le donjon. Gerberge préparait le noir avenir de
Douce. Un jour de décembre 1109, alors que les Provençaux de Bertrand de
Toulouse venaient de prendre Tripoli quelques mois plus tôt et que tous les
yeux de la chrétienté étaient tournés vers la Terre sainte, elle jugea le moment opportun. Elle fit appeler sa fille pendant le conseil et lui avoua son
intention de la marier. On exigea aussi la présence de la petite Stéphanie.
    C’était la première fois qu’on les convoquait au conseil. Elles
entrèrent dans la salle basse et enfumée en se serrant l’une contre l’autre. Une
tension régnait sous les voûtes noirâtres. Les féaux de Saint-Rémy, de Tarascon,
d’Arles, de Saint-Gilles et trente autres seigneurs de moindre importance, engoncés
dans leurs peaux de bête et leurs broignes matelassées renforcées de plaques de
fer, dardèrent leurs regards sur les fillettes. Certains portaient la croix
rouge des croisés et la fierté sur leurs visages en disait long sur leur gloire :
ils avaient écrasé les Turcs seldjoukides, les Arabes du Caire, les nomades d’Arabie,
mais la plupart arboraient les insignes de leur fief. Des animaux fantastiques,
dragons et lions ailés, des étoiles, des tours, des clefs et des feuilles s’étalaient
sur les poitrines et les longs écus posés contre les murs et les piliers.
    L’émotion
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