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La Dernière Année De Marie Dorval

La Dernière Année De Marie Dorval

Titel: La Dernière Année De Marie Dorval
Autoren: Alexandre Dumas
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opéras-comiques qu’elle chantait dans sa jeunesse.
    Son enfance lui repassait comme un songe
devant les yeux.
    En l’entendant fredonner, Luguet releva la
tête et la regarda avec étonnement, presque avec effroi.
    – Viens ici, Luguet, lui dit-elle en lui
faisant signe de s’approcher de son chevet, et aide-moi en solfiant
tout bas les airs que j’ai oubliés.
    Luguet obéit, corps dont l’âme était passée
tout entière dans la mourante, comme pour lui donner une seconde
chance de vivre, il n’avait d’autre volonté que la sienne.
    Ils chantèrent ainsi jusqu’au jour.
    Au jour, Dorval s’assoupit, Luguet tomba de
fatigue.
    Le lendemain, elle lui dit :
    – Mon cher Luguet, nous voici au mois de
mai ; puis souriant : le mois de Georges et de Marie. Va
dans la campagne, rapporte-moi un gros bouquet d’aubépine, et
mets-le sur mes pieds avec le portrait de mon petit ange.
    Luguet ne dit pas un mot ; il prit son
chapeau, sortit, et, une demi-heure après, rentra avec une brassée
d’aubépine qu’il posa sur le pied du lit en y appuyant le portrait
de Georges.
    Les yeux de la malade se fixèrent alors sur
les fleurs et le portrait.
    Deux jours et deux nuits, ils restèrent
ouverts sans se détourner, sans se fermer, presque sans
clignoter.
    Il n’y a que les mourants pour avoir une
semblable force.

Chapitre 8
     
    On arriva ainsi jusqu’au 16, à huit heures du
matin.
    Luguet était assis au pied du lit, brisé, à
bout de forces, assoupi.
    La veille, il s’était évanoui deux fois de
fatigue ; la seconde fois au milieu de la chambre, en allant
ouvrir la fenêtre.
    La mourante n’avait pas eu la force d’aller à
lui, pas même eu celle d’appeler ; elle lui avait tendu les
bras.
    Puis, à son tour, elle était retombée sur son
lit.
    Luguet était revenu le premier ; il
l’avait crue morte.
    Elle s’essayait seulement.
    Donc, le 16 mai, à huit heures du matin, elle
se mit à gémir comme au premier jour de sa douleur.
    Luguet sortit de son assoupissement, et la
regardant tout étonné :
    – Qu’as-tu donc, Marie ? lui
demanda-t-il.
    – J’ai, j’ai, s’écria-t-elle se dressant
à moitié sur son lit, j’ai qu’il y a juste un an, à pareil jour,
que mon petit Georges est mort ; j’ai que je serai morte dans
deux jours, et que je veux que tu m’emmènes à Paris sans perdre une
minute, afin que je puisse revoir ma chère Caroline.
    Le ton avec lequel tout cela était dit avait
un tel accent prophétique, qu’il n’y avait plus de doute à avoir,
plus d’espoir à conserver.
    Dès le même soir, grâce à un dernier bijou
qu’on avait conservé pour un besoin suprême, Luguet était dans le
coupé de la diligence, tenant la chère mourante sur ses genoux,
comme dans la
Pietà
de Michel-Ange la Vierge tient son
fils.
    Au milieu de la nuit, on éprouva une violente
secousse, des cris se firent entendre, les vitres éclatèrent.
    La voiture venait de verser.
    Il faisait une horrible tempête, Luguet
emporta notre pauvre Marie sous un arbre de la route, et là, tous
deux grelottants, percés par la pluie, ils attendirent le temps
nécessaire à la réparation de la voiture.
    Une demi-heure à peu près.
    On remonta dans le coupé ; le groupe
funèbre n’avait pas un instant été désuni : on eût dit que, de
marbre, ces deux corps étaient adhérents l’un à l’autre.
    Caroline, prévenue enfin, vint recevoir sa
mère dans la cour des messageries. Un geste de son mari lui fit
réprimer le cri de terreur qu’elle était prête à pousser en la
revoyant.
    Elle la regarda d’un air calme et tranquille,
et l’embrassa en renfonçant ses larmes et en étouffant.
    Dorval se tut jusqu’à ce qu’on fût dans le
fiacre. Arrivée là, elle fixa sur sa fille ses yeux devenus plus
grands par la maigreur, plus limpides par l’approche de la mort, et
elle lui dit gravement :
    – Allons, ma chère enfant, ne fais pas
d’inutiles efforts pour cacher tes larmes ; va, pleure,
pleure ; pour deux ou trois heures peut-être que j’ai encore à
vivre, il ne faut pas te contraindre.
    À six heures du Matin, elle était réinstallée
dans sa chambre.
    À onze heures et demie, pendant que je faisais
répéter au Théâtre-Français le
Testament de César
, un
garçon de théâtre m’appela dans la coulisse, et me dit comme il
m’eût dit la chose la plus indifférente du monde :
    – Monsieur Dumas, madame Dorval vous
envoie chercher ; elle se meurt, et ne veut
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