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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre
Autoren: Studs Terkell
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bohetai, des enfants-soldats. On
avait avec eux à peu près les mêmes rapports qu’avec des gosses. Ils avaient
peur. Ils avaient tout perdu. Okinawa avait été complètement dévastée. La
plupart d’entre eux n’avaient plus de famille.
    Je passais mes permissions à aller voir mon père et ma sœur
dans les camps. Aller dans un camp, pour moi, c’était comme si je rentrais à la
maison pour voir la famille. On faisait pour le mieux avec ce qu’on avait. On
célébrait Noël à l’américaine. On essayait de ne pas trop s’en faire.
    Quand nous sommes retournés à Los Angeles, à la fin de la
guerre, nous étions persuadés que nous devions nous intégrer à la société
américaine. Nous ne pouvions plus nous raccrocher à notre culture japonaise. À
l’époque, je pensais que je devais affirmer mon identité. Je ne sais pas
pourquoi, moi, un ancien GI, né et élevé ici, j’éprouvais le besoin d’affirmer
mon identité. Nous pensions tous la même chose. Nous devions prouver que nous
étions américains, vous comprenez ?
    Mon père et ma mère m’avaient envoyé dans une école
japonaise très traditionnelle. Ma femme et moi, nous n’avons rien fait de
semblable avec nos enfants. Nous nous sommes installés dans un quartier blanc
près de Los Angeles. Dans une banlieue typiquement américaine. Nous sommes
devenus plus américains que les Américains, ultra-conservateurs. Quelquefois j’en
discute avec ma femme. Nous sommes persuadés d’avoir bien fait. Il était
nécessaire de nous mêler à la communauté américaine et de faire partie
intégrante de l’Amérique blanche.
    Nous avons caché à nos enfants une grande partie de ce que
nous avons vécu. Quand je repense à ces quarante années de silence, je crois
que ça aussi c’est caractéristique des Japonais. Une fois que la honte est sur
nous, nous essayons de la dissimuler. Si nous avons été enfermés dans des camps
et si nous sommes devenus des victimes, c’est de notre faute. C’est pour ça que
nous le cachons.
    Quand Cathy, ma fille aînée a terminé ses études, elle a
voulu faire une thèse sur les camps. Elle m’a demandé si je connaissais des
gens qui pourraient lui apporter des éléments. Ce qu’il y a de drôle, c’est que
maintenant encore il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas en parler. Il y en
a qui se sont effondrés quand ils en ont discuté avec elle, parce que c’était
la première fois qu’ils racontaient ce qu’ils avaient vécu. Moi aussi je suis
passé par là. La première fois que j’ai commencé à entrer dans les détails, ça
m’a complètement bouleversé. Pourtant, quand ça sortait, je dois reconnaître
que ça me faisait du bien. C’était quelque chose qui était resté coincé à l’intérieur
et dont je voulais me débarrasser depuis longtemps.
    Comment les Sanseis – c’est-à-dire la génération de votre fille – réagissent-ils ?
    Ils sont furieux. Ils ne cessent de répéter : « Pourquoi
êtes-vous partis ? Pourquoi n’avez-vous pas résisté ? » Ils ne
peuvent pas comprendre. Ils n’ont pas été éduqués comme nous.
    Aujourd’hui, je résisterais, c’est sûr. La situation était
différente à l’époque. C’est ce qu’on a essayé d’expliquer à notre fille. Si ça
devait arriver aujourd’hui, je crois que dans leur majorité les Japonais
résisteraient [2] .
    Quand je repense à mon père et à ma mère, à ce qu’ils ont
vécu sans broncher, ça ne peut pas s’expliquer. (Il pleure.) Quand je
pense que mon père n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre. Après avoir
travaillé toutes ces années, toute sa vie, à la réalisation de son rêve – un
rêve américain, bien sûr – ne pas avoir dit un mot quand ils lui ont tout
repris. Son entreprise valait plus de 100000 dollars, et il l’a cédée à 5 000.
Quand il est sorti du camp, avec les petites économies qu’il avait, il a acheté
une maison. C’était un ancien meublé, dans un quartier mal famé. Il pensait qu’en
habitant là, avec les rentrées que lui apporteraient quelques petits loyers, ça
lui suffirait. Ma sœur travaillait comme employée de maison. Il n’était pas
rassuré de la savoir dans ce quartier. Quand il est mort, c’était un homme
brisé.
    Maintenant, avec ma femme, nous nageons dans le bonheur. Notre
fille vient de s’inscrire au barreau de Californie. Vous ne devinerez jamais ce
qu’elle fait. Elle travaille pour le Comité de réhabilitation et
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