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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre
Autoren: Studs Terkell
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prison. Je me revois encore en train
d’attendre dans le parloir. Quand mon père a franchi la porte, ma mère était
morte de honte. Il portait des vêtements de prisonnier : une veste de
toile bleue avec un numéro dans le dos. Elle n’a rien dit. Elle a pleuré.
    La honte et l’humiliation l’ont brisée. Sa culture japonaise
l’avait beaucoup marquée. Elle faisait des compositions florales
traditionnelles, et jouait du biwa, un instrument à cordes. Dans sa culture, la
honte était pire que la mort. Elle est tombée malade tout de suite après. Elle
a attrapé la tuberculose. Il a fallu l’envoyer en sanatorium. Quand on nous a
évacués elle n’a pas pu suivre, elle était trop malade. Elle y est restée jusqu’à
sa mort.
    Mon père a été transféré à Missoula dans le Montana. Il nous
envoyait des lettres – censurées, bien sûr – dans lesquelles il nous disait qu’il
allait bien. Nous vivions tout seuls ma sœur et moi. J’avais quinze ans, elle
en avait douze. En avril 1942, on nous a évacués vers Santa Anita. Sur le
moment nous ne savions pas du tout où on nous emmenait, ni pour combien de
temps. Nous ne savions pas quoi emporter. Une brosse à dents, des affaires de
toilette, des vêtements. On a pris ce qu’on pouvait porter. Avec les autres
Japonais, quand on est partis, on formait une vraie caravane.
    Santa Anita, c’est un hippodrome. Les écuries avaient été
transformées en locaux d’habitation. Avec ma sœur, nous avons eu la chance d’être
installés dans des baraquements. Ceux qui vivaient dans les écuries devaient en
supporter la puanteur. Tout se faisait en commun, sans aucune intimité. Les
toilettes étaient collectives. C’était extrêmement gênant, surtout pour les
femmes. Les parents ne pouvaient plus contrôler leurs enfants. Moi, je n’avais
pas de parents de toute façon, je faisais ce que je voulais. Quand je repense à
ce que les familles japonaises ont subi…
    En septembre 42, l’ordre est arrivé de quitter Santa Anita. Nous
ne savions pas le moins du monde où nous allions. Mon père nous a rejoints
juste avant le départ. Il est arrivé dans le camp dans un camion militaire avec
d’autres Japonais qui avaient été libérés de Missoula. Je les revois encore
parfaitement aujourd’hui : on les avait amenés comme du bétail qu’on
aurait entassé à l’arrière d’un camion. On était près de la porte, et on l’a vu
arriver. Lui aussi nous a vus. C’était affreux et en même temps, on était
tellement contents ! Ça faisait un an que nous étions séparés.
    Il n’a jamais vraiment laissé voir ce qu’il pensait au fond
de lui-même. Ça me surprend beaucoup. Jamais de colère ou d’amertume. Je n’arrive
pas à comprendre ça. Un homme qui avait autant travaillé, et qui avait tout
perdu du jour au lendemain. Il y a un mot extrêmement fort en japonais pour
exprimer cela : gaman , c’est-à-dire la persévérance. Les vieux l’inculquent
à leurs enfants : on ne doit pas se révolter, il faut prendre les choses
comme elles viennent et persévérer.
    Il avait l’esprit d’entreprise. C’était un enthousiaste. Sa
façon de mener ses affaires et ses rapports de travail m’impressionnait
vraiment beaucoup. Quand je l’ai vu à Santa Anita, il n’était plus le même
homme.
    Tous les trois, nous nous sommes retrouvés dans un train, et
nous n’étions pas tout seuls. Le train était bondé. Les stores étaient baissés.
Et pendant le voyage, nous n’avons pas cessé de nous demander ce qu’ils
allaient faire de nous. Nous, les Niseis , nous savions que le
gouvernement ne ferait rien de dramatique. Mon père avait mis toute sa
confiance dans ce pays. C’était sa patrie.
    Il nous a fallu deux jours pour arriver à Amache dans le
Colorado. Rien que ça, c’était une expérience. Nous étions juste à la limite du
Kansas. Un endroit désolé, désertique et tout plat. Il y avait une caserne, c’est
tout. Pas d’arbres, un paysage vide. On aurait dit un camp de prisonniers. Pour
nous qui avions vécu en Californie, l’était épouvantable.
    L’école dans le camp, c’était de la rigolade. Disons qu’il y
avait un certain laisser-aller. Celui qui voulait travailler, parfait, celui
qui ne voulait pas, tant pis. Il y avait quelques professeurs consciencieux, mais
la plupart ne l’étaient pas. L’histoire de l’Amérique était une de nos matières
principales, et on nous parlait tout le temps de liberté. (Il
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