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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne
Autoren: George Orwell
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heures ; ce n’est que vers huit heures dix que les officiers, harassés, trempés de sueur, réussirent enfin à nous rassembler dans la cour. Quel vif souvenir je garde de cette scène ! Le tumulte et l’animation ; les drapeaux rouges flottant dans la lueur des torches ; en rangs serrés les miliciens, sac au dos et couverture roulée en bandoulière ; et les appels et les bruits de bottes et de gamelles ; puis un furieux coup de sifflet qui réclamait le silence et finalement l’obtint ; et alors l’allocution en catalan d’un commissaire politique qui se tenait sous les plis ondulants d’un immense étendard rouge. Enfin on nous mena à la gare, par le chemin le plus long – trois ou quatre kilomètres –, afin de nous faire voir à la ville entière. Sur les Ramblas on nous fit faire halte, cependant qu’une musique d’emprunt jouait quelques airs révolutionnaires. Une fois de plus toute la montre du héros-conquérant : acclamations et enthousiasme, drapeaux rouges ou rouge et noir partout, foules bienveillantes se pressant sur les trottoirs pour nous voir, adieux des femmes aux fenêtres. Comme tout cela paraissait alors naturel ! Que cela paraît à présent reculé dans le temps et invraisemblable !
    Le train était à tel point bondé d’hommes qu’il ne restait guère d’espace inoccupé sur le sol – inutile de parler des banquettes. Au tout dernier moment la femme de Williams arriva en courant sur le quai et nous tendit une bouteille de vin et un demi-mètre de cette saucisse rutilante qui a goût de savon et vous donne la diarrhée.
    Et le train se mit en devoir de sortir de la Catalogne et de gagner le plateau d’Aragon en rampant à la vitesse, normale en temps de guerre, d’un peu moins de vingt kilomètres à l’heure.

II
     
     
    Barbastro, bien que située loin du front, avait l’air morne et saccagée. Des groupes de miliciens, en uniformes usés jusqu’à la corde, arpentaient les rues, tâchant de se réchauffer. Sur un mur en ruine je vis une affiche datant de l’année précédente, annonçant la date de la mise à mort dans l’arène de « six beaux taureaux ». Quelle impression désolante elle faisait avec ses couleurs fanées ! Où étaient à présent les beaux taureaux et les beaux toréadors ? Même à Barcelone, il y avait bien rarement à l’heure actuelle une course de taureaux ; je ne sais pour quelle raison tous les meilleurs matadors étaient fascistes.
    Ma compagnie fut envoyée par camions d’abord à Sietamo, puis vers l’est à Alcubierre, juste à l’arrière-front de Saragosse. On s’était disputé Sietamo à trois reprises avant que les anarchistes ne s’en fussent finalement emparés en octobre, aussi la ville était-elle en partie détruite par les obus, et la plupart des maisons étaient grêlées de trous de balles. Nous étions à 1 500 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il faisait bigrement froid, avec ce brouillard à couper au couteau qui montait on ne savait d’où en tourbillonnant. Entre Sietamo et Alcubierre le conducteur du camion s’égara (c’était là chose courante et une des particularités de cette guerre) et pendant des heures nous errâmes dans le brouillard. La nuit était avancée quand nous arrivâmes à Alcubierre. Quelqu’un nous pilota à travers les fondrières jusqu’à une écurie à mulets où nous nous laissâmes tomber sur de la balle et, nous y enfouissant, nous nous endormîmes immédiatement. La balle, quand elle est propre, n’est pas désagréable pour y dormir ; moins agréable que le foin, mais plus agréable que la paille. Ce n’est qu’à la lumière du jour que je me rendis compte que celle où nous avions dormi était pleine de croûtons de pain, de journaux déchirés, d’os, de rats morts et de boîtes de lait condensé vides aux bords déchiquetés.
    Nous étions à présent à proximité du front, assez près pour sentir l’odeur caractéristique de la guerre : d’après mon expérience personnelle, une odeur d’excréments et de denrées avariées. Alcubierre n’avait jamais reçu d’obus et était moins endommagée que la plupart des villages de l’immédiat arrière-front. Mais je crois que, même en temps de paix, on ne devait pouvoir voyager dans cette partie de l’Espagne sans être frappé par la misère toute particulière et sordide des villages aragonais. Ils sont bâtis comme les places fortes, une agglomération de minables petites masures de
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