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HHhH

HHhH

Titel: HHhH
Autoren: Laurent Binet
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loin de la mâle assurance qu’il devrait pourtant
statutairement afficher en toute circonstance, demande à deux de ses hommes
d’aller voir. Ils descendent prudemment les premières marches et s’arrêtent.
Comme deux petits garçons, ils se retournent vers leur commandant qui leur fait
signe de continuer, weiter, weiter ! Tous les observateurs présents
dans l’église les suivent du regard en retenant leur souffle. Ils disparaissent
dans la crypte. De longues secondes se passent encore puis on entend un appel,
littéralement, d’outre-tombe, en allemand. L’officier bondit le revolver au
poing et s’engouffre dans l’escalier. Il ressort, le pantalon mouillé jusqu’aux
cuisses, et crie : « Fertig ! » C’est fini. Quatre
corps flottent dans l’eau, ceux de Gabčík, Valičík, Švarc et Hrubý,
tués de leur propre main pour ne pas tomber dans celles de l’ennemi. À la
surface de l’eau flottent des billets de banque déchirés et des papiers
d’identité déchirés aussi. Parmi les objets éparpillés, un réchaud, des
vêtements, des matelas, un livre. Sur les murs, des traces de sang, sur les
marches de l’escalier en bois, des flaques de sang (celui-là au moins est
allemand). Et des douilles, mais pas une cartouche : ils s’étaient gardé
la dernière pour eux.
    Il est midi, il a fallu près de
huit heures aux huit cents SS pour venir à bout de sept hommes.
251
    Mon histoire touche à sa fin et
je me sens complètement vide, pas seulement vidé mais vide. Je pourrais
m’arrêter là mais non, ici, ça ne marchera pas comme ça. Les gens qui ont
participé à cette histoire ne sont pas des personnages ou en tout cas s’ils le
sont devenus par ma faute, je ne souhaite pas les traiter comme tels. Avec
lourdeur, sans faire de littérature ou tout au moins sans désir d’en faire, je
dirai ce qu’il est advenu de ceux qui, le 18 juin 1942 à midi, étaient
encore en vie.
    Quand je regarde les
actualités, quand je lis le journal, quand je rencontre des gens, quand je
fréquente des cercles d’amis et de connaissances, quand je vois comment chacun
se débat et se glisse comme il peut dans les sinuosités absurdes de la vie, je
me dis que le monde est ridicule, émouvant et cruel. C’est un peu la même chose
pour ce livre : l’histoire est cruelle, les protagonistes émouvants et je
suis ridicule. Mais je suis à Prague.
    Je suis à Prague, je le
pressens, pour la dernière fois. Les fantômes de pierre qui peuplent la ville
m’entourent comme toujours de leur présence menaçante, bienveillante ou
indifférente. Je vois passer sous le pont Charles le corps
sculptural-évanescent d’une jeune femme brune à la peau blanche, une robe d’été
collée sur son ventre et ses cuisses, l’eau ruisselant sur sa poitrine dénudée
avec sur ses seins, comme dans un coffre ouvert, des formules magiques en train
de s’effacer. L’eau du fleuve lave le cœur des hommes emportés par le courant.
Le cimetière est déjà fermé, comme d’habitude. De la rue Liliova me parvient
l’écho des sabots d’un cheval heurtant les pavés. Dans les contes et légendes
de la vieille Prague des alchimistes, il est dit que le Golem reviendra quand
la ville sera en danger. Le Golem n’est pas revenu protéger les Juifs ni les
Tchèques. L’homme de fer, figé dans sa malédiction séculaire, n’a pas bougé non
plus quand ils ont ouvert Terezín, quand ils ont tué les gens, quand ils ont
spolié, brimé, torturé, déporté, fusillé, gazé, exécuté de toutes les manières
possibles. Lorsque Gabčík et Kubiš ont débarqué, il était déjà bien tard,
le désastre était là, l’heure n’était plus qu’à la vengeance. Elle fut
éblouissante mais par eux, par leurs amis et par leur peuple cher, bien cher
payée.
    Leopold Trepper, chef du réseau
« Orchestre Rouge », organisation légendaire ayant opéré en France,
avait observé une chose : lorsqu’un résistant tombait entre les mains de
l’ennemi et se voyait offrir la possibilité de coopérer, il pouvait accepter ou
non. S’il acceptait, il avait encore la possibilité de limiter les dégâts et
d’en dire le moins possible, de tergiverser, de lâcher les informations au
compte-gouttes, de gagner du temps. C’est la stratégie qu’il adopta lorsqu’il
se fit arrêter, et c’est aussi ce que fit A54. Mais dans les deux cas il
s’agissait de professionnels, d’espions de très haut niveau. La plupart du
temps, celui
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