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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie
Autoren: Maurice Denuzière
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parchet.
     
    – Dites-moi, mes toutes belles, n’auriez-vous pas une mignardise pour le va-t’en-guerre ?
     
    Les filles se regardèrent l’une l’autre en pouffant de rire. Puis la plus audacieuse lança :
     
    – Reviens aux vendanges, nous danserons à la fête de Cully !
     
    – Je te prends au mot, mignonne. Aux vendanges, foi de Bourguignon, je serai là, pour le bal ! s’écria le maréchal des logis.
     
    – Si les Autrichiens t’ont laissé tes jambes…
     
    – Et si le grand froid de la montagne ne t’a pas rendu de glace ! compléta avec malice sa compagne, provoquant l’hilarité d’autres paysannes, qui s’étaient dressées entre les rangs de ceps pour mieux suivre la conversation.
     
    – Je suis bien sûr que tu saurais me dégeler ! répliqua Titus sur le même ton, l’œil brillant.
     
    Constatant que le capitaine avait poursuivi sa route, il envoya, du bout des doigts, un baiser au trio, qui lui répondit de même, et rejoignit l’officier.
     
    – Vous les avez entendues, capitaine, vos huguenotes, hein, pas plus fières que d’autres, et, si nous avions bivouaqué par là, je suis bien certain que…
     
    – Que tu aurais fait bernique, mon garçon. Les filles d’ici sont libres en paroles, prudentes en actes et d’une fidélité exemplaire.
     
    En disant ces mots, Blaise pensait aux amours de la Veveysanne Suzanne Roy et d’un camarade de combat, le chef de bataillon Charles Perrot. Ils s’étaient mariés en 98 et la jeune épouse avait usé de tous les subterfuges pour accompagner son mari en Égypte. L’officier y était mort de maladie, un an plus tard. « Qu’est-elle devenue aujourd’hui, cette fille du Léman ? » se demanda Fontsalte qui, depuis son engagement dans l’armée, avait perdu tant de bons camarades.
     
    Jusqu’à Saint-Saphorin, où l’on fit souffler les chevaux, les cavaliers restèrent silencieux. La route, contrainte à grimper dans les vignes, développait, en quelques lacets, une rude montée. Elle franchissait un haut promontoire rocheux dont la proue, incontournable par la berge, plongeait dans le lac. Mais, au faîte, l’œil, le corps et l’esprit avaient leur récompense. Saint-Saphorin, posé sur son piédestal, ressemblait à un gros nid de maisons. Serrées autour d’une église au clocher massif comme un donjon, de toutes tailles mais faites des mêmes pierres d’un blond grisé, couvertes des mêmes tuiles brunes, hérissées des mêmes cheminées trapues, parées des mêmes persiennes, ces demeures exhalaient une inaltérable sérénité.
     
    Cerné de vignes plantées sur des terrasses biscornues qui s’élevaient comme des marches sur les pentes, jusqu’à l’altitude où la végétation alpestre et les arbres reprennent leurs droits, le village parut à Fontsalte un site privilégié, en parfaite harmonie avec la nature environnante, comme enfanté par elle dans un moment de compassion, pour offrir aux hommes une chance de quiétude.
     
    Le décor ajoutait, pour l’officier, à la douce mélancolie qu’avait fait naître en lui le rappel des amours de Suzanne et de Charles. De quoi faire accepter les dures réalités de la guerre, embusquées derrière les montagnes coiffées de nuages qui fermaient l’horizon.
     
    Depuis des générations, les hommes d’ici avaient entassé, sur tous les replains, entre les barres rocheuses, dans tous les creux, anfractuosités, failles et cassures, la terre qu’ils montaient dans des hottes de roseau et tassaient derrière des murets, eux aussi apportés d’en bas, pierre à pierre, par les plus forts. Les grandes pluies et la neige défaisaient chaque année leur ouvrage, renvoyaient en coulées glaiseuses la chair du vignoble au pied des pentes, au risque de la faire se dissoudre dans les eaux du lac. Et les hommes, inlassablement, remontaient la terre lourde en ahanant.
     
    Pour chasser la morosité, Fontsalte envoya l’ordonnance acheter un pichet de blanc chez le bottier 9 du village. Le vin blanc des vignobles de Lavaux 10 passait pour un des meilleurs.
     
    De retour avec son pichet de terre brune, le maréchal des logis rendit sa pièce au capitaine.
     
    – Les gens d’ici sont braves. Le tavernier n’a pas voulu de vos sous. « Rapporte seulement la picholette quand vous aurez vidé ces deux décis », qu’il a dit. Et sa femme m’a donné deux croûtes au fromage, pour aller avec le vin. Paraît qu’au matin faut pas boire du
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