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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie
Autoren: Maurice Denuzière
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murets de pierres sèches, les vignobles, fortune du pays. À distance, l’œil les prenait pour tapis multiformes roussis par l’hiver, qu’un Bacchus géant aurait étalés au soleil pour en raviver les couleurs.
     
    – Les Savoyardes font bouillir la lessive, nous aurons la pluie demain, dit d’un ton placide et chantant un paysan à tignasse blanche, qui s’était approché de l’abreuvoir avec une couple de bœufs.
     
    Le capitaine le salua et dit combien il trouvait beau le décor.
     
    – Nous autres, Vaudois, ne craignons pas de dire que c’est bien là un paysage qui n’a pas son équivalent en Europe. Mais il est vrai, monsieur l’officier, que les gens de chez nous ne voyagent pas loin, sauf quand ils se louent pour faire les guerres des rois ou des princes. Ce qui ne leur réussit pas toujours, comme vous savez bien !
     
    Le capitaine sourit, comprenant l’allusion au massacre des Suisses qui avaient tenté de défendre les Tuileries le 10 août 1792. Une triste boucherie, dont la Révolution ne devait pas être fière ; une affaire qu’il valait mieux ne pas évoquer dans ce pays.
     
    – Bien qu’ayant voyagé jusqu’en Égypte, navigué sur le Nil et dormi à l’ombre des Pyramides, je suis prêt à soutenir que ce décor est un des plus beaux que j’aie vus. En matière de lacs, je ne connais que celui de Constance qui puisse offrir semblable attrait. Mais il n’est pas, comme le Léman, serti dans un écrin de montagnes et ce sont les îles, absentes de celui-ci, qui font le vrai charme de l’autre.
     
    – Et puis, Monsieur l’Officier, notre Léman est le plus grand lac d’Europe, une vraie petite mer, qui a ses caprices, ses marées, qu’on appelle chez nous seiches, et qui ne sont qu’oscillations mystérieuses des eaux. Il a même ses tempêtes, quand souffle la vaudaire 4 . Savez-vous que, dans sa plus grande longueur, de Genève à Villeneuve, il mesure plus de trente-trois mille toises 5  ? Et qu’entre Rolle et Thonon, sa plus grande largeur, il fait sept mille cinq cents toises ? Quant à sa profondeur, elle n’est jamais inférieure à trois cents pieds et là-bas, devant la falaise de Meillerie, elle atteint plus de mille pieds, conclut fièrement l’homme en désignant, bras tendu, un lieu de la côte d’en face, perdu dans la brume 6 .
     
    – Je sais que Voltaire en a vanté la beauté, dit aimablement l’officier, faisant signe au maréchal des logis d’éloigner les chevaux de l’abreuvoir.
     
    – Oh ! celui-là voyait plus juste pour les lacs que pour les hommes ! bougonna le paysan en faisant avancer ses bœufs vers la fontaine.
     
    L’ordonnance profita du mouvement pour poser à nouveau la question qui le préoccupait :
     
    – Dis-moi donc un peu, mon gars, trouverons-nous de la neige au Grand-Saint-Bernard ?
     
    L’interpellé parut surpris par le tutoiement désinvolte du Français, haussa les sourcils et, ignorant le maréchal des logis, dédia sa réponse au capitaine.
     
    – Pour sûr, Monsieur l’Officier, que vous aurez la neige après le bourg de Saint-Pierre 7 et peut-être même avant. Là-haut, elle tient jusqu’à mi-juin. Certaines années, plus longtemps encore. Et il n’est pas rare qu’elle revienne à la mi-août ! Et puis, parfois, elle se met à tomber sans raison, quand ça chante au bon Dieu ! Y a que les chanoines de l’hospice qui, là-haut, savent dire le temps du lendemain. Mais on ne va pas le leur demander tous les jours ! C’est la montagne !
     
    Trévotte aurait bien posé d’autres questions, mais Fontsalte lui fit signe de se taire. Après avoir esquissé un salut militaire, l’officier souhaita bon labeur au paysan, tourna bride et, au petit trot, regagna la route. Quand l’ordonnance l’eut rejoint, le capitaine marqua sèchement sa réprobation :
     
    – Ne sais-tu pas que les gens d’ici doivent rester dans l’ignorance de notre route exacte ? Il y a plusieurs voies pour franchir les Alpes et personne ne doit savoir celle que vont emprunter les régiments qui passent par ici. Ce n’est qu’au bout du lac qu’on saura par où doit traverser le gros de l’armée. Ce pays est truffé d’espions, car bien des Vaudois ne nous aiment guère. Depuis trois ans que nos troupes parcourent le pays, elles n’ont pas laissé que de bons souvenirs, loin de là !
     
    Le maréchal des logis savait évaluer l’humeur de son capitaine aux nuances changeantes du regard. Un
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