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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane
Autoren: Juliette Benzoni
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de savon qui lui couvrait les joues. L’entrée fracassante de Tim lui fit faire un léger faux mouvement. Il se coupa et se mit à jurer effroyablement en pêchant une serviette pour étancher le sang de la petite blessure.
    — Tu as une façon d’entrer chez les gens ! grogna-t-il quand il fut au bout de son répertoire cependant riche et fourni. Tu devrais essayer l’artillerie !
    — Je suis plus efficace, rigola le coureur des bois, surtout quand il s’agit d’aller vite. Allez ! Au trot ! dépêche !… Le grand chef t’attend. Il t’a même envoyé sa voiture.
    L’effet fut magique. L’idée que le grand Washington pût l’attendre, ne fût-ce qu’un instant de trop, plongea Gilles dans sa cuvette et, quelques minutes plus tard, vêtu d’un sévère habit bleu sombre et de linge neigeux, il rejoignait Tim dans la chaloupe collée au flanc du navire.
    Une voiture attendait, en effet, sur l’étroit chemin tracé au bord du fleuve. C’était une sorte de calèche attelée de deux carrossiers anglais qui faisaient grand honneur, par leur allure, à la réputation d’homme de cheval du général Washington. La capote à soufflets de la voiture était rabattue car le temps, ce matin-là, était entièrement printanier. Un joyeux soleil irradiait les brumes matinales et dorait le grand fleuve. Le ciel était d’un bleu léger qui, tout à l’heure, deviendrait profond et dont les nuances adoucies faisaient ressortir le vert dense des vastes forêts d’alentour. Sur la rive du Maryland 1 , la cloche d’une petite église blanche, perdue au milieu de vergers en fleurs, sonnait le glas, appelant les fidèles à quelque enterrement mais ne parvenait cependant pas à assombrir la joie de ce beau matin calme.
    Installé auprès de Tim dans la voiture, Gilles se laissa emporter à l’assaut de la colline aux vertes frondaisons au cœur desquelles se cachait Mount Vernon. À cet endroit, la vieille forêt venue du fond des âges conservait un aspect sauvage et primitif avec ses arbres qui n’avaient jamais connu la cognée du bûcheron et ses fourrés si touffus que le soleil sans doute n’y pénétrait pas. La voiture roulait sous un tunnel vert habité de chants d’oiseaux, un tunnel au bord duquel apparut tout à coup une borne blanche.
    — Nous sommes à présent sur le domaine du général, dit Tim. Cette borne en marque la limite.
    — Important, ce domaine ?
    — Plus de dix mille arpents 2 .
    — Fichtre !
    On roula encore, en effet, durant deux ou trois milles avant d’atteindre la maisonnette du concierge qui, elle, marquait l’entrée du parc. À vrai dire, le chemin qui coulait à travers une région assez accidentée et fort belle ne parlait guère de culture car aussi loin que le regard pouvait porter, la nature seule se laissait admirer.
    Et puis, tout à coup, après que l’on eut passé un ruisseau et un ravin, la maison apparut, blanche, ravissante et majestueuse, posée comme un objet précieux sur le velours vert tendre d’une pelouse soignée dont les pentes douces rejoignaient paisiblement la ligne des arbres immenses…
    Coiffée d’un amusant clocheton octogonal, surmonté lui-même du paratonnerre qui avait fait la gloire de Benjamin Franklin et garnie de petits carreaux où se reflétaient joyeusement les rayons du soleil, la résidence du grand homme n’avait que deux étages y compris les soupentes éclairées par de jolies lucarnes. Une blanche colonnade, dans la meilleure tradition des maisons du Sud, soutenait le grand porche où s’abritaient les fenêtres de façade et la porte simplement ornée d’un fronton triangulaire. Des bâtiments flanquaient, de chaque côté, l’élégant manoir : des écuries et des étables d’une part et de l’autre une grande serre et les bâtiments où l’on entreposait le tabac et où travaillaient les Noirs auprès d’une vaste basse-cour pleine de volailles. Au-delà s’apercevaient les huttes qui servaient d’habitation aux esclaves (il y en avait à peu près deux cents) et plus loin encore, d’autres étendues boisées qui achevaient le cadre de verdure de Mount Vernon.
    Lorsque la voiture s’arrêta devant le porche, un majordome aussi noir que le cocher qui la conduisait vint ouvrir la portière et indiqua aux visiteurs que le général les attendait sur la terrasse. Et comme Gilles cherchait vainement, aux alentours, quelque chose ressemblant à une terrasse, Tim le prit par le bras et
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