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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père
Autoren: Marina Picasso
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s’épanouit.
Pour la première fois depuis notre arrivée, Pablito et moi sommes libres d’être
de vrais enfants.
    Ce jardin de La Californie , avec Pablito me tenant
par la main, reste pour moi le plus beau souvenir que j’ai conservé de mes
visites chez Picasso. En été, les buissons de romarin mêlant leur senteur à
celle des genêts, les liserons prennent d’assaut les branches des mimosas en
fleur, les coquelicots, les boutons-d’or, les giroflées jaillissent par
bouquets. Partout, c’est un fouillis d’herbes folles et de plantes odorantes
avec, comme écrin, les palmiers, les pins, les cyprès et les eucalyptus se
détachant sur le bleu du ciel méditerranéen. Au milieu de ce terrain laissé
volontairement à l’abandon, niche un peuple de sculptures en plâtre, en argile
ou en bronze : une guenon, un crâne, une femme enceinte, un buste de
Marie-Thérèse Walter, un chat, une chouette, des céramiques, des poteries, les
unes mangées par une mousse étalée en taches veloutées, les autres fraîchement
sorties du four.
    Je me souviens aussi du perroquet qui se dandinait sur son
perchoir, des papillons qui voltigeaient de fleur en fleur, des pigeons, des
tourterelles et des colombes qui s’envolaient à chacun de nos assauts espiègles
pour rejoindre leur volière installée sous le toit.
    Au printemps, nous retrouvions l’emplacement où timidement
se blottissaient les violettes. Un coin de paradis secret qui nous appartenait.
     
    C’est l’heure de partir. Debout devant la table où
grand-père est assis devant les reliefs d’une collation qu’il a prise à la hâte
alors que nous jouions dehors, nous lorgnons la corbeille de fruits secs qui se
trouve sous notre nez. Nous n’avons pas mangé et sommes affamés. Grand-père a
surpris notre regard. En souriant, il choisit dans la corbeille une datte, une
figue qu’il fend en deux avec son Opinel. Du tranchant de la main, il brise une
noix, la dépiaute et enfourne la chair de cette noix dans la datte et la figue
qu’il serre entre ses doigts pour les marier ensemble.
    — Approchez, nous dit-il, toujours en souriant.
    Nous avançons, timides et, les yeux mi-clos, ouvrons grande
la bouche. Doucement, presque religieusement, grand-père y dépose la friandise.
    Une sorte d’eucharistie.
    D’aussi loin que remontent mes souvenirs, l’unique code d’amour
que j’ai perçu de lui est cette figue et cette datte fourrées. Le seul don de
lui-même qu’il nous ait proposé.
     
    Mon père a finalement réussi à parler à son père : un
long conciliabule tenu au bout de l’atelier : tête-à-tête d’un colosse d’un
mètre quatre-vingt-dix et d’un gnome d’à peine un mètre soixante. David contre
Goliath, affrontement d’un géant résigné et d’un monstre sacré. La main de mon
grand-père qui plonge dans sa poche, une liasse de billets que mon père saisit
furtivement, un « merci, Pablo », et immédiatement la réplique
perfide :
    « Tu es incapable d’assumer tes enfants. Tu es
incapable de gagner ta vie ! Tu es incapable de faire quoi que ce soit !
Tu es un médiocre et resteras toujours un médiocre. Tu me fais perdre mon temps ! »
    En un mot : « Je suis el Rey , le Roi, et
toi, tu es ma chose ! »
    Une chose qu’il a lentement et méthodiquement saccagée de
façon qu’elle ne réussisse pas et ne lui porte pas ombrage.
     
    Plus tard, bien plus tard, je devais apprendre que les
figues et les dattes fourrées de noix que grand-père nous proposait
systématiquement à chacune de nos visites s’appelaient des « mendiants ».
    On ne devrait jamais apprendre certaines choses.
     

2
     
     
    « Paul Picasso, acceptez-vous de prendre pour épouse
Émilienne Lotte… »
    Un jour, ma mère et mon père ont exprimé la volonté de s’unir
pour la vie devant monsieur le maire. Dans un « oui » mutuel, ils se
sont juré amour et fidélité, et ont fait le serment d’offrir à leurs enfants
amour, protection et soutien.
    Pablito et moi n’avons pas eu cette fortune. Paul Picasso et
Émilienne Lotte, devenue pour sa plus grande fierté M me  Picasso,
se sont séparés lorsque j’avais six mois, et mon frère avait pratiquement deux
ans. Cette rupture était dans l’ordre des choses. Ma mère et mon père n’avaient,
ni l’un ni l’autre, le talent de vouloir être heureux et de nous rendre heureux.
     
    Assis sur la banquette arrière de l’Oldsmobile, la voiture
de maître que grand-père
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