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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre
Autoren: Nicolas Remin
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accepte sa proposition. Le programme était bien trop artistique.
    La princesse avait adopté sa position préférée. Le dos appuyé contre le chevet de sa méridienne, les jambes croisées (par coquetterie, l’une de ses pantoufles traînait sur le tapis), elle était vêtue d’une robe d’intérieur en cachemire mauve et offrait l’image d’une élégance mondaine en parfait accord avec le luxe ostentatoire de son salon. Rien que le secrétaire à abattant (de Riesener), une acquisition récente placée au bout de la méridienne, valait dix ans de salaire d’un commissaire de police à Venise. On ne pouvait imaginer plus grand contraste avec l’atmosphère de vieux grenier qui régnait dans le palais Tron, où les taches claires sur les tapisseries révélaient que les propriétaires avaient dû se séparer de leurs Tintoret et de leurs Tiepolo. Au palais Balbi-Valier, on nageait dans une vaine abondance. Au palais Tron, on léchait les murs.
    — Alvise ?
    Tron leva les yeux de la Gazetta di Venezia dans laquelle il faisait mine d’être plongé.
    — Oui, Maria ?
    La princesse toussota.
    — Le programme manque un peu d’harmonie, à mon goût.
    Le commissaire avait craint une attaque plus frontale. Il tourna la tête dans sa direction, comme muni d’un bouclier prêt à recevoir une pluie de flèches.
    — Dans quelle mesure ?
    Le sourire avec lequel sa fiancée lui répondit se fit ironique.
    — Quel est, selon toi, le sens de ce bal ?
    — Le lancement du cristal Tron, répondit-il.
    Les yeux de la princesse restèrent rivés sur lui. Cela signifiait que l’interrogatoire allait se poursuivre. Il aimait Maria à la folie mais, parfois, il la trouvait… comment dire ?… trop sévère.
    — Donc, quel est l’élément le plus important de la soirée ?
    Tron leva les bras.
    — Le cristal Tron !
    — Tu admets donc qu’il ne s’agit pas de l’accompagnement, mais du cristal. Or dans ton programme, c’est l’accompagnement qui domine. Tu veux faire intervenir cette Potocki trois fois ! Au début, puis après les mots de bienvenue de ta mère et, enfin, après ma présentation de la collection. Pour toi, c’est le cristal Tron qui sert de cadre, et non l’inverse.
    Elle lui lança un regard exaspéré.
    — Ne sois pas stupide, baisse les bras !
    — La plupart des gens préfèrent écouter du Chopin plutôt qu’un exposé sur des articles en cristal, se risqua-t-il à objecter.
    Cette remarque n’eut pas l’heur de plaire à sa fiancée.
    — Mais il ne s’agit pas de cela, Tron ! Il ne s’agit pas de présenter cette Polonaise !
    — Cette Polonaise, ma chère, passe pour la meilleure pianiste de sa génération. Par ailleurs, c’est toi qui as eu l’idée d’appeler notre première collection Mazurka .
    Ce qui était d’autant plus étonnant que la princesse était une admiratrice inconditionnelle de Mozart, que même en musique elle trouvait gênant tout ce qui n’avait pas de forme claire, et qu’elle n’avait jamais caché qu’elle détestait purement et simplement le sentimentalisme slave . Malgré tout, il fallait reconnaître que l’idée d’appeler Mazurka leur première collection de verres relevait du génie. Le lien que ce nom suggérait entre leurs produits et l’empire des Habsbourg se ferait ressentir sur les ventes en Autriche. Et dans le reste de l’Europe – le marché d’exportation –, ce mot possédait une connotation exotique (Dieu seul savait ce que les gens pouvaient s’imaginer sous ce terme) vraisemblablement favorable à leur chiffre d’affaires.
    — Et c’est toi aussi, poursuivit-il, qui as eu l’idée d’inviter Constancia Potocki pour qu’elle interprète quelques mazurkas de Chopin au cours de notre bal.
    La princesse hocha la tête.
    — Exact, sauf qu’il n’a jamais été question que de quelques mazurkas. Or voilà que cette dame semble vouloir ajouter deux ballades et une demi-douzaine de nocturnes. C’est-à-dire au moins une heure et demie de Chopin. Trop, c’est trop !
    La princesse esquissa une grimace de dégoût. Tron ne put s’empêcher de sourire. De quoi avait-elle un jour qualifié la musique de Chopin (qu’il interprétait avec beaucoup plus de plaisir que de talent sur son piano désaccordé) ? Ah oui ! De chemin détourné vers le chaos . C’était bien dit, quoique assez discutable. Il se redressa dans son fauteuil et annonça d’un ton officiel : — Je ne peux imposer son programme à une artiste de cette
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