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George Sand

George Sand

Titel: George Sand
Autoren: Elme Caro
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jamais funestes à la droiture de son jugement et, par suite, à la moralité de son âme.»
Elle était née rêveuse ; tout enfant, elle se perdait dans des extases sans fin qui l'isolaient du monde entier. L'habitude contractée, presque dès le berceau, d'une rêverie dont il lui était impossible plus tard de se rendre compte, lui donna de bonne heure l'air bête.
    «Je dis le mot tout net parce que toute ma vie, dans l'enfance, au couvent, dans l'intimité de la famille, on me l'a dit de même, et qu'il faut bien que ce soit vrai.» Ces crises de rêverie prenaient quelquefois une durée et une intensité extrêmes, comme il arriva dans les jours qui suivirent la mort de son père (elle avait alors quatre ans). Quand elle se fut fait une vague idée de ce que c'est que la mort, elle resta des heures entières assise sur un tabouret aux pieds de sa mère, ne disant mot, les bras pendants, les yeux fixes, la bouche entr'ouverte : «Je l'ai souvent vue ainsi, disait sa mère pour rassurer la famille inquiète ; c'est sa nature ; ce n'est pas bêtise. Soyez sûre qu'elle rumine toujours quelque chose.» Elle ruminait, en effet ; c'était la forme habituelle d'une pensée active déjà. Elle a peint en traits expressifs ce premier travail tout intérieur de son imagination. De son propre mouvement, dans cette période de sa vie commençante, elle ne lisait pas, elle était paresseuse par nature et avec délices ; elle avouait qu'elle n'avait pu se vaincre plus tard qu'avec de grands efforts. Tout ce qu'elle apprenait par les yeux et par les oreilles entrait en ébullition dans sa petite tête, elle y songeait au point de perdre souvent la notion de la réalité et du milieu où elle se trouvait. Avec de pareilles dispositions, l'amour du roman, sans qu'elle sût encore ce que c'était que le roman, s'empara d'elle avant qu'elle eût fini d'apprendre à lire. Elle composait des histoires interminables en les jouant avec sa soeur Caroline ou sa petite compagne Ursule. C'était une sorte de pastiche de tout ce qui entrait dans sa petite cervelle, mythologie et religion mêlées, dans la singulière éducation que lui donnait sa mère, artiste et poète à sa manière, «qui lui parlait des trois Grâces ou des neuf Muses avec autant de sérieux que des vertus théologales ou des vierges sages», en amalgamant les contes de Perrault et les pièces féeriques du boulevard, «si bien que les anges et les amours, la bonne vierge et la bonne fée, les polichinelles et les magiciens, les diablotins du théâtre et les saints de l'Église produisaient dans sa tête le plus étrange gâchis poétique qu'on puisse imaginer».
    Cette fermentation d'images qui se réalisaient en scènes fantastiques au dedans d'elle-même et qu'elle essayait de réaliser mieux encore dans ses jeux au dehors, se modifiait, mais ne disparaissait pas quand elle passait du petit appartement de la rue Grange-Batelière, où elle demeurait à Paris avec sa mère, à la maison de Nohant, qui appartenait à Mme Dupin. Là c'était une tout autre existence, de tout autres aliments pour la vie ruminante. En dehors des heures d'étude, où elle n'apportait qu'une régularité extérieure, elle vivait volontiers en compagnie des petits paysans du voisinage, dans les pâtureaux où ils se réunissaient autour de leur feu, en plein vent, jouant, dansant ou se racontant des histoires à faire peur. Elle s'animait, elle s'exaltait de leurs terreurs. «On ne s'imagine pas, disait-elle en se rappelant cette période de son enfance, ce qui se passe dans la tête de ces enfants qui vivent au milieu des scènes de la nature sans y rien comprendre, et qui ont l'étrange faculté de voir par les yeux du corps tout ce que leur imagination leur représente.» C'est là qu'elle s'essayait de bonne foi à ce genre d'hallucination particulière aux gens de la campagne, guettant l'apparition de quelque animal fantastique, le passage de la grand'bête que presque tous ses petits compagnons avaient vue au moins une fois. Elle était la première aux contes de la veillée, lorsque les chanvreurs venaient broyer le chanvre à la ferme. Malgré toute la bonne volonté qu'elle y mit, elle déclare qu'elle ne put jamais obtenir la moindre vision pour son compte ; elle ne put réussir à être complètement dupe d'elle-même ; mais l'ébranlement de l'imagination et des nerfs persistait ; elle en ressentait une sorte de frémissement et de volupté ; toute sa vie elle aima
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