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Francesca la Trahison des Borgia

Francesca la Trahison des Borgia

Titel: Francesca la Trahison des Borgia
Autoren: Sara Poole
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relire Dante, qui reste à ce jour mon poète préféré ; il était ivre et abattu, après une énième dispute avec son père. Je pourrais prétendre qu’il avait pris la virgo intacta que j’étais par surprise et était parvenu à ses fins avec moi sous le regard placide du pape Calixte iii, cet oncle et bienfaiteur de la famille qui leur avait montré à tous le chemin de la gloire et dont le portrait trônait au-dessus de la cheminée. Mais pour être tout à fait honnête, ce soir-là, je suis autant parvenue à mes fins que lui, et peut-être davantage. La noirceur qui me hante était attirée par cet homme fait d’appétits primaires, en qui moralité et conscience n’ont pas leur place. Il ne commettait jamais de péché puisqu’il n’en reconnaissait aucun. Pendant toutes ces années il n’y a qu’avec lui que j’eus l’illusion de me sentir moi-même, à défaut de l’être véritablement.
    En son absence j’avais caressé l’idée de prendre un autre amant, mais le seul homme que je voulais vraiment, à part César, était celui que je ne pouvais avoir. J’avais alors été contrainte de me persuader que le détachement était une vertu, alors même qu’il devenait davantage évident, à chaque jour qui passait (et chaque nuit), que c’était tout sauf cela.
    Toutes ces confidences vous choquent-elles ? Je l’espère, car à la vérité je me souviens très bien que je m’ennuyais prodigieusement ce jour-là, et que j’aurais quasiment tout fait pour redonner un peu de vitalité à cette scène.
    — Allez-vous la signer ? demandai-je finalement, car vraiment quelqu’un devait le faire. Il avait passé tout l’après-midi sur cette bulle, il l’avait lue et relue, avait poussé des gémissements, s’était lamenté, avait insisté pour qu’elle soit réécrite, que soit changé tel mot ici et là, et au final n’avait jamais dépassé le stade de l’examen. Les pigeons qui se posaient de temps à autre sur le rebord de la fenêtre pour picorer les poignées de grains que je leur mettais semblaient plus déterminés que le Vicaire de Jésus-Christ sur Terre.
    — Tu crois que je devrais ? demanda Borgia. En dépit de la douceur printanière, un film de sueur brillait sur sa lèvre supérieure. Il avait alors soixante-deux ans, âge auquel la plupart des hommes sont dans la tombe ou ont tout au moins déjà pris place dans l’antichambre de la Mort. Mais pas Borgia le Taureau. La charge qu’il avait mis tant d’énergie et de ruse à conquérir l’avait vieilli, certes ; mais il avait encore de beaux jours devant lui. Même dans ses pires moments, il projetait cette aura d’homme infatigable qui faisait fuir en toute hâte ses ennemis, comme autant de fourmis cherchant à s’abriter du soleil de midi.
    Pas un instant je ne crus qu’il voulait vraiment entendre mon opinion. Sa question n’était qu’une excuse de plus pour repousser le moment de prendre une décision concernant une chose dont il avait peur qu’elle s’avère être, avec le temps, de bien plus grande valeur qu’il ne l’avait pressenti jusqu’à maintenant.
    Cela étant dit, qui aurait su mettre un prix sur un Nouveau Monde ?
    À moins que ce ne soit vraiment les Indes, ainsi que le héros du jour, Christophe Colomb, le prétendait. Auquel cas les choses allaient vraiment se gâter.
    Le vin arriva enfin. Borgia se laissa aller en arrière dans son fauteuil, fit tournoyer le liquide bordeaux dans la coupe, plongea le nez dedans. N’allez pas vous imaginer que c’était un sauvage. Il était capable, quand il le voulait bien, d’apprécier le bouquet d’un grand millésime aussi bien que n’importe quel prince.
    Je l’observai boire avec une confiance que j’avais l’impression d’avoir bien méritée. Depuis son accession à la papauté, Borgia s’était fait davantage d’ennemis encore qu’il n’en avait du temps de son cardinalat. L’année n’était guère avancée et pourtant on avait déjà attenté par trois fois à sa vie. J’avais bien mon idée concernant l’auteur de ces attaques, mais sans preuves mon champ d’action était de fait limité. Par conséquent, rien ne devait approcher Il Papa (que ce soit à manger, à boire, ou tout objet à son contact) qui n’ait été au préalable examiné par mes soins, et cela sous aucun prétexte. Cette difficile tâche constituait la majeure partie de mon travail. À l’occasion seulement pouvais-je être appelée à faire
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