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Fatima

Fatima

Titel: Fatima
Autoren: Marek Halter
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regard craintif, il n’y avait là que la cousine Muhavija, vieille, si vieille et toute fripée, arrimée au bras de la tante Kawla, presque portée par elle. Ce qui était déjà bien beau. Kawla avait dû ignorer les sarcasmes et les menaces de son époux pour venir jusqu’ici.
    Un courage que n’avaient pas eu les soeurs de Fatima. Aucune des trois n’avait osé braver les menaces et le mépris de son mari.
    Ruqalya et Omm Kulthum avaient épousé deux des fils de l’horrible Abu Lahab, le frère malfaisant d’Abu Talib. Zaynab, l’aînée, était folle amoureuse de son Lass ibn ar Rabi. Un jeune prétentieux adorateur d’idoles, comme tous les ar Rabi. Leur richesse, ils la devaient entièrement à Khadija. Ce qui n’empêchait pas ce Lass ibn ar Rabi de se pavaner dans Mekka, l’insulte et la raillerie aux lèvres dès que l’on prononçait le nom de son beau-père Muhammad.
    Pourquoi le Rabb Clément et Miséricordieux permettait-Il cela ? Pourquoi laissait-Il Zaynab, Ruqalya et Omm Kulthum faire honte à leur père ?

Khadija : souvenir, souvenir !
    Fatima ferma les yeux, laissa monter le flot de souvenirs. Le visage maigre et épuisé de sa mère Khadija apparut sous ses paupières closes. Un visage si vrai, si réel, qu’elle aurait pu le caresser. Lorsque Khadija était encore en vie, dans ses derniers moments, Fatima ne l’avait pas fait. Elle n’avait pas osé. C’était trop effrayant. La douleur consumait sa mère depuis des jours et des nuits. Chaque heure qui passait transformait ses traits. Malgré les herbes brûlées dans des braseros aux quatre coins de la pièce, l’air de sa chambre était irrespirable, saturé par l’odeur aigre et sournoise qui enveloppe ceux qui quittent la vie.
    C’était il y a presque cinq ans, mais Fatima s’en souvenait comme si c’était hier. Elle s’était agenouillée tout près de la couche de sa mère. Khadija avait tourné la tête vers elle avec difficulté. Elle semblait sortir d’une nuit épaisse. Après un long moment, si long, un sourire avait étiré ses lèvres craquelées. Un sourire de miel sur ce visage terrifiant. Le même sourire qu’elle offrait depuis toujours. Fatima avait failli crier. Une douleur nette et froide lui avait tordu le coeur. Comme si sa poitrine s’ouvrait en grand, tranchée par une nimcha. L’envie de fuir dans la cour l’avait dévorée. Elle y aurait peut-être succombé si Khadija n’avait pas murmuré :
    — Fatima… Fatima… Fatima, mon petit ange du paradis…
    Elle avait ouvert la main sans avoir la force de la déplacer. Fatima avait trouvé le courage d’y poser la sienne, faisant appel à toute sa volonté pour ne pas la retirer aussitôt. La paume vieillie de sa mère était recouverte d’une sueur glacée. La sueur de la mort…
    Khadija avait eu les plus belles mains, les plus fines, les plus douces de Mekka. Des mains qui ne liaient pas les herbes, ne tiraient pas sur les cordes, ne se brûlaient pas aux pierres des fours. Des mains qui vous caressaient comme la tendre brise du printemps. Désormais il ne s’écoulait pas une journée sans que Fatima ne frissonne en se souvenant de la paume glacée, des phalanges dures comme de l’écorce qui avaient agrippé sa main d’enfant, l’avaient retenue tout le temps où Khadija, de sa voix cassée, presque inaudible, avait voulu la consoler :
    — Ne sois pas triste, ma Fatima adorée. Je vais sur le chemin où m’attend le Rabb de ton papa… Il m’accueillera. Je ne serai pas perdue. Je ne serai pas seule et je te verrai… Tous les jours je t’aimerai, je te guiderai… Ta vie sera belle et grande. Je le sais.
    Fatima était alors trop jeune, et trop impressionnée, pour comprendre toute la douceur, tout l’amour que contenait ce chuchotement. Elle cédait encore trop facilement devant la peur. Peur des joues creuses, peur des yeux étincelants comme une eau trop immobile. Peur de ces lèvres sèches et brûlantes qui se pressaient contre son poignet. Peur du mal qui détruisait pour toujours les souvenirs doux de sa mère tant aimée. Peur de tout, comme une fille ordinaire.
    Mais Khadija n’avait plus le temps de se soucier des peurs d’une gamine. De sa voix rauque, à peine reconnaissable et dont le souvenir, si longtemps après, donnait encore la chair de poule, elle lui avait fait faire une promesse. Une vraie promesse. De celles que l’on ne peut oublier toute une vie durant.
    — Ne quitte pas ton père, Fatima,
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