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Elora

Elora

Titel: Elora
Autoren: Mireille Calmel
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était demeurée prisonnière de Hugues de Luirieux. L’idée que peut-être elle était déjà pendue à côté des autres avait amené des larmes dans ses yeux qu’il avait essuyées d’un mouvement latéral et rageur de sa manche. Il se devait d’être digne d’elle. De son sacrifice. Il avait refait provision, avait bien failli cette fois se faire prendre puisque l’autre porte, celle qui conduisait dans les appartements au-dessus d’une volée de marches, s’était ouverte sur le ruminement bourru d’un valet. Il avait refermé l’huis vitement, un peu trop pour empêcher qu’il ne grince, l’avait verrouillé puis, empoignant le restant de ses affaires, s’était enfui en courant, le cœur cognant aussi fort que le poing du valet contre le bois. Il ne s’était calmé qu’une fois le souffle coupé. Le silence avait repris ses droits. Personne ne l’avait pourchassé. Il avait ri de nervosité, s’était accordé une pause par défi avant de reprendre sa route une heure plus tard. Il avait espéré renouveler son manège en l’église de Saint-Antoine dans laquelle il parvint plus loin, mais il ne rencontra pas même un curé pour lui donner un morceau de pain. Il arpenta la travée déserte, trouva la porte de l’église fermée de l’extérieur, dormit sur un banc avant de reprendre sa route souterraine. Elle s’achevait dans l’abbaye de la Trappe de Chambaran. Là encore, il dut ruser pour éviter que les moines ne le découvrent. Il attendit que la nuit tombe pour sortir de son trou, remonter à la surface, escalader une toiture et sauter de l’autre côté de l’enceinte. La cheville foulée malgré la neige, des larmes de douleur et de colère aux yeux, la faim au ventre, il s’était enfoncé dans les bois, avait grimpé tant bien que mal dans un châtaignier et, s’attachant à une des branches, s’était endormi lorsque ses sanglots s’étaient estompés.
    Depuis, appuyé sur un bâton, la mise aussi sale qu’un mendiant, suçant la neige qui lui collait aux souliers et rongeant quelques racines arrachées difficilement au sol gelé, il progressait vers son but. Ce château de Bressieux enfin à portée. Parce qu’il avait envie, plus que tout, de croire ce que sa mère lui avait révélé.
    Lorsqu’il y parvint enfin, claudiquant misérablement, le mollet enflé et la fièvre à son front, il fut arrêté par le corps de garde. Il demanda pitié, jura qu’il était apparenté à la vieille Malisinde, et obtint de passer. Il cherchait les cuisines lorsqu’il l’aperçut qui fendait du bois par côté. Il le reconnut tout de suite à la description que lui en avait faite sa mère. Les bossus ne devaient pas être légion en la maisonnée, surtout de son âge. Il se dirigea vers lui, à bout de jeûne, de fatigue et de courage.
    — Mayeul…
    La hache resta suspendue en l’air. Le visage marqua l’étonnement et en même temps la compassion.
    — On se connaît ?
    Petit Pierre s’appuya plus lourdement sur son bâton, l’enfonçant profondément dans la boue de la cour, déblayée de neige. Des papillons noirs voletaient devant ses yeux et, du fond de sa gorge, un relent acide monta dans sa bouche trop sèche.
    — Pas encore. Je suis Petit Pierre. Le demi-frère d’Elora, parvint-il à articuler avant de glisser comme une poupée de chiffon le long du manche de bois.

33
     
    De mémoire d’homme, aucun hiver ne fut plus rude que celui-là en Vercors. Dès le lendemain et alors qu’on le croyait apaisé s’abattirent sur la contrée des bourrasques violentes de neige et de grêle, de vent et de froid, jusqu’en le cirque de Presles pourtant protégé. Les arbres se pliaient jusqu’à toucher terre, y demeuraient figés telles des statues de cristal, les ruisseaux ne coulaient plus, gelés sur une trop grande épaisseur, et même l’Isère, d’ordinaire bouillonnante de remous, se mit à charrier de lourds blocs qui, peu à peu, obstruèrent la surface. À la hauteur du péage de Saint-Quentin, au bout d’une semaine, ce fut un pont de glace qui remplaça celui de bois, emporté par le choc.
    Ni homme ni bête ne pensait y survivre, s’aventurer hors des maisons ou des terriers.
     
    Une troupe pourtant avançait, malgré les lourds glaçons qui durcissaient le poil de ses pelisses, épuisant ses pas dans une demi-toise de neige, courbant l’échine sous les grêlons, reniflant, malgré ses cache-nez, des particules de glace à en attraper la
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