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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin
Autoren: Christian Bernadac
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camp nous désirions à tout prix savoir exactement ce qui se passait à l’intérieur du block mystérieux. Je suis arrivé à persuader l’expérimentateur, le professeur Beiglbock, de m’utiliser dans son équipe d’assistants. Je lui ai dit : « Il vous manque un spécialiste des yeux… Les observations que je pourrais faire au fond de l’œil seront précieuses pour vos études. » Beiglbock accepta et je découvris alors le Radeau de la Méduse. Ils devenaient fous. Ils hurlaient comme des cochons. Des fous ! Ils étaient persuadés qu’ils allaient tous mourir. Ils somnolaient en râlant lorsqu’ils étaient épuisés. Un spectacle horrible : leur peau parcheminée se détachait en plaques, les artères temporales étaient sinueuses… Ils avaient vieilli de quarante ans en quelques jours. Toutes les chevilles étaient éléphantiasiques. J’ai réussi à convaincre Beiglbock de stopper l’expérimentation sur trois tziganes en lui disant qu’ils allaient mourir certainement. Il m’a écouté. Ces hommes furent couchés sur des civières et transportés à l’infirmerie. La première série d’expérimentations s’était déroulée alors que le camp connaissait une vague de chaleur inhabituelle. Soudain, le samedi après-midi, comme Beiglbock partait se reposer, le ciel s’obscurcit et la pluie transforma en boue la terre battue de Dachau. Avec le personnel déporté, je décidai de prendre des mesures pour que les « prochains » cobayes n’aient pas à souffrir de la soif. Les poutres, juste au-dessus du plafond de la salle, étaient la meilleure cachette. Nous avons fait la chasse aux récipients et nous avons pu dissimuler sur les poutres plus de quarante litres d’eau. Je pus même, au cours des expériences, faire entourer la tête de plusieurs tziganes de chiffons mouillés. L’expérience était complètement truquée et comme les résultats étaient sensiblement différents de ceux observés la semaine précédente, Beiglbock conclut : « Il a plu cette semaine, les conditions atmosphériques ont une importance capitale. »
    Ainsi donc, je tenais l’explication de ces résultats imprévus :
    — Mais il y a eu un procès à Nuremberg, Beiglbock a comparu devant un autre tribunal qui l’a condamné à quinze ans de travaux forcés… Vous n’avez jamais témoigné, on ne vous a jamais interrogé ?
    Le docteur Roche sourit :
    — Jamais.
    — Et les journalistes ? Et les écrivains ?
    — Je n’ai jamais vu personne. Vous êtes le premier.
    Deux ans après cet entretien, le docteur Roche mourait. Depuis, j’ai rencontré des centaines de « docteur Roche », témoins privilégiés, porteurs d’une part infime ou importante de l’explication d’un fait, d’une controverse, d’une révélation. Presque tous ont accepté de rédiger, spécialement pour ces dossiers, leur témoignage. Médecins, prêtres, syndicalistes, « proéminents » ou simples « stucks », ils n’avaient jamais – pour la plupart – jugé nécessaire d’écrire leur expérience, d’apporter leur pierre à cette mosaïque absolument nécessaire pour une meilleure et plus profonde connaissance de la vérité. Nombreux sont ceux qui ont disparu, livre après livre. Mais leur récit est là, disponible et, je l’espère, convaincant. Témoins privilégiés des expériences médicales mais aussi de la lutte des médecins déportés, du sacerdoce des prêtres, de l’efficacité des communistes, des résistants, des syndicalistes, des officiers, de la bonne volonté et du sacrifice d’ouvriers, de paysans, d’employés ; témoins privilégiés du travail en chantier, en usine, dans ces forteresses souterraines où le Reich préparait ses armes secrètes ; témoins privilégiés des exactions, de la lâcheté des crimes, du génocide ; témoins privilégiés d’un monde dont ils sont le seul témoignage.
    Il ne m’a pas été, bien sûr, possible de publier dans le cadre, malgré tout restreint, de cette enquête l’ensemble des récits. Un choix s’imposait. Je le regrette. Peut-être, dans les années à venir, me sera-t-il possible de le faire. J’insiste et je veux insister : là était ma volonté ; tel était mon but. Que ceux (très rares parmi les déportés) qui m’ont trouvé d’autres intentions se rassurent : leurs coups ont porté et il est des blessures qui ne se referment jamais entièrement. Avec le temps… j’ose espérer. Il me reste ces pages
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