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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières
Autoren: Laurent Dingli
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classe, se fera un plaisir de vous guider. Il a reçu des instructions dans ce sens. C’est un brillant sujet et, de surcroît, un homme charmant. Vous ne serez pas déçu, je vous l’assure. Quoi qu’il en soit, je vous attends pour le dîner, à une heure.
    Saint-Gilles tenta de dissimuler sa déception. Il remercia le médecin-chef, le salua même avec une certaine solennité, puis attendit l’arrivée de son guide. Le jeune Parisien était un homme exalté, un esprit curieux et un travailleur acharné. Il se consola bien vite de cette déconvenue en songeant aux nouveautés qu’il allait découvrir. Argenson le rejoignit rapidement et ils commencèrent tous deux la visite de l’établissement. Ce fut un émerveillement. Jamais Saint-Gilles n’avait vu un hôpital aussi propre et bien tenu que celui de la Marine. Il n’eut que des compliments à faire aux Filles de la Sagesse, qui étaient en charge de l’entretien depuis la Régence ; il interrogea longuement la Supérieure, une vieille femme au caractère affable. En sa compagnie, les deux médecins visitèrent les moindres recoins de l’hôpital, les grandes salles ornées de fleurs, l’étage avec le promenoir d’hiver et les jardinets un peu tristes qui donnaient sur le port, enfin, la chapelle dont le fronton aux colonnes de granit créait une atmosphère d’austérité majestueuse. On leur ouvrit même les armoires dans lesquelles le linge, fraîchement lessivé, était rangé avec soin. Saint-Gilles était fasciné par l’abnégation des religieuses. Fervent chrétien, il se sentait en quelque sorte confirmé dans ses vénérations. La vigueur de sa foi et sa curiosité scientifique étaient d’ailleurs avivées par l’enthousiasme de la jeunesse et cette croyance un peu naïve qu’il avait toujours eue dans la capacité des hommes à bonifier le monde. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il avait fait le voyage de Paris. Et chez ce philanthrope, le désir de réforme avait toujours un parfum de mission.
    Il poursuivit sa visite, flanqué du chirurgien et de la Mère supérieure, découvrant l’école de médecine navale puis l’amphithéâtre de dissection. Il venait de pénétrer dans l’infirmerie lorsqu’il aperçut une silhouette étrange.
    Un homme se tenait devant lui, maigre, légèrement courbé, en apparence docile mais avec une lueur de révolte et de fierté déconcertante au fond des prunelles. Ce demi-spectre avait le crâne rasé, la peau brune, parcheminée par le soleil et les embruns, le visage percé de deux grands yeux émeraude, à la fois envoûtants et terribles. Il ne ressemblait pas à un malade, ni à un valet, encore moins à un fonctionnaire de la marine. André fut frappé par le mélange d’énergie farouche et de détachement que cet inconnu, pourtant immobile, exprimait avec tant de force. L’homme s’était redressé pour l’observer. Mais, au bout d’un instant, le médecin ne put supporter ces yeux incandescents et dut finalement détourner le regard.
    La Mère supérieure remarqua la stupeur de son hôte.
    — Vous ignoriez que nous avions ici des bagnards ? Ce sont de bons et fidèles travailleurs… Ils nous rendent, chaque jour, de précieux services.
    — Je n’en doute point, ma sœur. Je savais que les hôpitaux employaient des forçats ; pourtant… la présence de cet homme m’a surpris.
    Argenson et la religieuse échangèrent un rapide coup d’œil.
    — Les prisonniers affectés ici ne sont jamais condamnés à perpétuité, mais uniquement à de courtes peines, précisa la bonne sœur. Certains sont même assez proches de leur libération. Je me suis attachée à quelques-uns d’entre eux. J’entends soulever des objections sur leur emploi dans la pharmacie, l’infirmerie ou les cuisines. Je comprends ces craintes, mais ne les partage pas. J’ai plus de soixante-dix ans, Monsieur, et je vous assure que le travail de ces malheureux est non seulement un acte de miséricorde, mais aussi une mesure profitable à la société tout entière.
    — Cette pensée vous honore et, faute de posséder votre expérience, je partage votre avis. Je considère, comme vous, qu’il est de notre devoir de chrétiens d’aider ces misérables et de leur offrir la possibilité d’une réhabilitation.
    Le forçat avait repris le travail depuis un moment. Saint-Gilles l’observa une dernière fois ; il acheva sa visite, prit congé de la Mère supérieure et du chirurgien puis
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