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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête
Autoren: Erik LARSON
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dans un état normal. Joseph Schachno, 31 ans, était un médecin originaire de New York qui, récemment encore, exerçait la médecine dans une banlieue de Berlin. À présent, il se tenait nu dans une salle d’examen entourée d’un rideau au premier étage du consulat où habituellement, un praticien de la santé publique examinait les demandeurs de visas qui aspiraient à émigrer aux États-Unis. Schachno était écorché vif sur une grande partie de son corps.
    Deux agents consulaires arrivèrent et entrèrent dans la cabine. L’un était George Messersmith, le consul général américain pour l’Allemagne depuis 1930 (sans rapport avec Wilhelm Messerschmitt, l’ingénieur en aéronautique allemand). À la tête des services diplomatiques à Berlin, Messersmith supervisait les dix consulats américains situés dans les grandes villes allemandes. À côté de lui se tenait son vice-consul, Raymond Geist. En règle générale, Geist était calme et flegmatique, le parfait subalterne, mais Messersmith remarqua qu’il était blême, visiblement secoué.
    Les deux hommes étaient atterrés par l’état de Schachno. « Depuis le cou jusqu’aux talons  2 , il n’était qu’une masse de chairs à vif, constata Messersmith. Il avait été roué de coups de cravache et de tout ce qui était possible jusqu’à ce que la chair soit littéralement mise à nu et sanguinolente. J’ai jeté un coup d’œil et je suis allé le plus vite que j’aie pu jusqu’à un des lavabos où le [médecin de la santé publique] se lavait les mains. »
    Le passage à tabac, comme l’apprit Messersmith, était survenu neuf jours plus tôt, mais les plaies étaient toujours ouvertes. « Après neuf jours  3 , des omoplates aux genoux, il y avait toujours des zébrures qui montraient qu’il avait été frappé des deux côtés. Ses fesses étaient pratiquement à cru avec de grandes parties encore dépourvues de peau. Par endroits, la chair avait été pratiquement réduite en charpie. »
    S’il constatait cela neuf jours plus tard, se dit Messersmith, à quoi devaient ressembler les plaies aussitôt après le passage à tabac ?
    L’histoire se fit jour :
    Dans la nuit du 21 juin, Schachno avait vu débarquer chez lui une escouade d’hommes en uniforme à la suite d’une dénonciation anonyme le désignant comme un ennemi potentiel de l’État. Les hommes avaient mis son appartement à sac et, bien qu’ils n’aient rien trouvé, ils l’avaient emmené à leur quartier général. Schachno avait reçu l’ordre de se déshabiller, et il fut aussitôt roué de coups avec brutalité, longuement, par deux hommes armés d’un fouet. Il fut ensuite relâché et parvint tant bien que mal à regagner son domicile. Puis, avec sa femme, il se réfugia au centre de Berlin, dans l’appartement de sa belle-mère. Il était resté alité pendant une semaine. Dès qu’il s’en était senti la force, il s’était rendu au consulat.
    Messersmith donna l’ordre de le conduire dans un hôpital, et lui délivra ce jour-là un nouveau passeport américain. Peu après, Schachno et sa femme s’enfuirent en Suède, puis aux États-Unis.
    Depuis l’accession d’Hitler au poste de chancelier en janvier, des citoyens américains avaient déjà été arrêtés et battus, mais pas d’une manière aussi brutale – cependant, des milliers d’Allemands avaient subi un traitement tout aussi cruel, voire infiniment pire. Pour Messersmith, c’était un nouvel indicateur de la réalité de la vie sous Hitler. Il comprenait que toute cette violence représentait davantage qu’un bref déchaînement de folie furieuse. Quelque chose de fondamental avait changé en Allemagne.
    Lui s’en rendait compte, mais il était convaincu que rares étaient ceux qui, aux États-Unis, en faisaient autant. Il était de plus en plus perturbé par sa difficulté à persuader le monde de la véritable ampleur de la menace que représentait le nouveau chancelier. Il était absolument évident à ses yeux que Hitler était en train de préparer en secret, de façon offensive, son pays à une guerre de conquête. « J’aimerais trouver le moyen  4  de le faire comprendre à nos compatriotes [aux États-Unis], écrivait-il en juin 1933 dans une dépêche au Département d’État, car j’ai le sentiment qu’il faut qu’ils comprennent à quel point cet esprit guerrier progresse en Allemagne. Si ce gouvernement reste au
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