Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Courir

Courir

Titel: Courir
Autoren: Jean Echenoz
Vom Netzwerk:
revenir, il reviendra. Au
passé, au futur, au présent mais surtout au passé, rarement on n’aura autant
parlé de lui depuis qu’on le dit, et qu’il se dit lui-même, sur son déclin.
    Il revient. Par un froid coupant, sous une grêle perforante,
il revient courir dix mille mètres plus qu’honorables à Bratislava, puis, à
Thorgau, vingt-cinq kilomètres dans un état de fraîcheur absolue et tout le
monde change encore aussitôt d’avis. Mais bien sûr qu’il ira à Melbourne
puisqu’il a repris toute sa forme, on l’y annonce au marathon ainsi qu’aux dix
mille mètres, on lui prédit une cinquième médaille d’or.
    Bon, Melbourne, on y va mais Émile n’est pas très optimiste,
il ne croit pas trop à tout ça. Comme souvent avant une grande rencontre, il se
dit fatigué. Puis il ne sent pas tellement le public australien. Il craint que
celui-ci ne soit pas très habitué aux épreuves athlétiques, peu sensible à la
grâce de leur simplicité, plutôt porté vers des sports moins abstraits comme
les courses de chevaux ou de motocyclettes. D’autre part il s’est disputé avec
ses sélectionneurs qui refusent finalement de l’inscrire aux dix mille mètres,
ne lui accordant que le départ du marathon.
    Bref il n’est pas de très bonne humeur en arrivant pour la
deuxième fois dans l’hémisphère sud. Arrivé dans son logement du village
olympique, il ne se rue pas aussitôt dans la salle de bains pour vérifier
encore la loi de Coriolis. Il le fera vaguement les jours suivants, mais de
façon maussade et sans trop y croire, il lui semble d’ailleurs que ça ne marche
plus vraiment. Tout ce qui l’amuse un peu au rayon de sa curiosité, c’est son
appareil photographique tout neuf.
    Pourtant, les premiers jours, les antipodes au mois
d’octobre, ce n’est pas mal car c’est le printemps, parcs fleuris, mer
immobile, ciel clair, nuits douces. Mais bientôt le temps change, journées
pluvieuses, rafales glacées, tout le monde grelotte y compris les cygnes noirs
de la baie de Port Phillip qui se réfugient le long de ses berges. Le moral
n’est pas là, d’autant moins que tout le monde s’accorde à trouver ces Jeux
minables au regard de ceux d’Helsinki : organisation sommaire, nourriture
médiocre, équipements défaillants, cendrée irrégulière. La robinetterie
hoquette, le chauffage est caractériel, les lits grinçants se révèlent trop
courts comme la piscine qui n’est pas aux normes, huit millimètres lui manquant
pour être vraiment olympique. Puis quand ce n’est plus le vent lourd et brûlant
du désert qui souffle, peu favorable aux coureurs de fond, c’est celui qui
déferle à présent du sud, glacial, tourbillonnant, provenant du proche
Antarctique et pas terrible non plus pour eux.
    Mais, le jour du marathon, c’est peu dire que le soleil est
revenu. Il produit un enfer surchauffé, un four d’une violence accablante et
qui pèse telle une masse sur les épaules des coureurs. Comme il convient de se
protéger, Émile troque son bonnet trop épais pour une casquette de toile légère
mais insuffisante. La course se dispute sur une route de banlieue aride et
poussiéreuse, où l’ombre n’existe pas et où le macadam, effrité par endroits,
bout sous leurs semelles. Cette route, nommée Dandenong Road, est bordée de
pavillons à stores vénitiens devant lesquels se presse une foule énorme et peu
disciplinée d’hommes rouges de bière, de jeunes femmes en robe légère, amazones
en pantalon de cow-boy, joueuses de tennis ayant déserté leur court et joueurs
de cricket leur pelouse, battoir sur l’épaule ou raquette sous le bras.
    Après le coup de pistolet dont, vu le contexte, encore
heureux qu’une balle perdue n’ait pas provoqué d’accident, c’est parti. On s’y
met tous et, pendant les vingt premiers kilomètres, Émile reste prudemment bon
dixième. Dans ce début, tout ne va pas si mal pour lui : il fait son
malin, salue la foule à grands coups de casquette, prend même le temps de poser
pour les photographes amateurs. C’est à la grande montée que ça se gâte, la
longue montée précédant le drapeau rouge qui marque le carrefour où la route
reprend la direction de Melbourne. Mais comme ça se gâte surtout pour la
plupart de ses rivaux qui se mettent à tituber, n’avancent plus qu’en zigzag,
s’épuisent et abandonnent l’épreuve l’un après l’autre, Émile en profite pour
remonter en cinquième place pendant les dix
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher