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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous
Autoren: Maurice Denuzière
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France pour l'édification des croyants et la mise en confiance des armateurs !
    Depuis 1632, le bulletin d'information Relations de la Nouvelle-France , publié par les jésuites pour faire connaître les activités de la Compagnie de Jésus au Canada, apportait aux élèves du collège des nouvelles des professeurs qu'ils avaient connus et qui s'étaient exilés pour propager la foi chrétienne. Le père Daniel, ami des Huron, était mort percé par les flèches des Iroquois en défendant sa chapelle de la profanation. Ces mêmes Iroquois avaient attaché au poteau de torture le père Jean de Brébeuf et le père Charles Lallemand qui, en 1649, étaient retournés à la mission Saint-Louis pour stimuler le zèle des novices. Les Indiens Mohawk avaient commencé par enlever au père Brébeuf, paré d'un collier de fers de hache chauffés à blanc, des morceaux de chair qu'ils s'étaient empressés de déguster devant leur victime. Puis ils avaient achevé le jésuite, après avoir bu son sang alors qu'il survivait à l'épreuve du scalp. Quant au père Lallemand, il avait fallu lui fendre le crâne à coups de tomahawk pour l'envoyer rejoindre le Dieu qu'il n'avait cessé d'invoquer pendant son martyre.
    Le destin du père Isaac Jogues paraissait tout aussi édifiant. Les Iroquois lui avaient tranché les doigts avec des coquillages affûtés avant de l'abandonner à des gamins espiègles qui s'étaient amusés à couvrir le malheureux de tisons ardents ! Le bon père, ayant miraculeusement survécu à ce barbecue barbare, avait reçu pour réconfort un épis de maïs et s'était aussitôt appliqué à recueillir les quelques gouttes de rosée qui perlaient sur les feuilles pour baptiser deux malheureux Huron attachés à son sort. Racheté aux Indiens par des trappeurs hollandais qui entretenaient de bonnes relations avec les Iroquois, le jésuite mutilé avait pu regagner la France. Dès son retour, il avait été reçu avec respect par la reine, et le pape lui avait accordé une dispense, afin qu'il puisse continuer à célébrer la messe sans doigts !
    Robert Cavelier entendit ainsi, pendant toute son enfance, chanter les louanges des missionnaires de la Compagnie de Jésus qui méritait déjà le titre de Première Légion du Christ qu'on allait lui donner plus tard. Rien d'étonnant donc qu'au terme de ses études de rhétorique, les jésuites, qui s'y connaissent en hommes et savent distinguer ceux qui peuvent le mieux servir les intérêts conjugués de Dieu et de la Compagnie, aient proposé à cet élève d'entrer dans leurs rangs. M. Cavelier, le riche marchand de tissu, fournisseur du chapitre de la cathédrale, vit dans la proposition un établissement honorable pour son troisième fils. Les bons pères, qui suivaient depuis l'enfance les progrès de Robert, pensèrent qu'il ferait un bon professeur. Quant à l'intéressé, il estima que la Compagnie de Jésus faciliterait grandement les projets de voyage et d'exploration qui lui trottaient par la tête.
    Entré comme novice le 15 octobre 1658, à l'âge de quinze ans, dans la « jésuitière » de Paris, il quittera la Compagnie le 28 mars 1667, après avoir été relevé de ses vœux par le révérend père Oliva, général de l'ordre, qui fit simplement savoir au provincial de France : « Nous vous mandons de renvoyer de la Compagnie Robert Ignace Cavelier, scolastique approuvé. » Le futur fondateur de la Louisiane avait mis neuf ans pour se rendre compte qu'il n'était pas fait pour la prêtrise, mais, pendant ces années, il avait beaucoup appris. Non seulement de la logique, de la physique, de la théologie et des mathématiques, mais surtout de la géographie, sa passion, matière qu'il avait parfois enseignée en assurant l'intérim d'un professeur malade.
    Il existe toutes sortes de raisons, bonnes, mauvaises ou simplement douteuses, de jeter la soutane au buisson et la plupart des défroqués se montrent fort discrets sur ce genre de strip-tease. La démission de Robert Cavelier n'eut, semble-t-il, rien de trouble. Elle ne cachait ni désir de dissipation ni reniement de la foi ancestrale. Elle paraît plutôt avoir été l'aboutissement loyal de longues réflexions et d'un débat intérieur au cours duquel les scrupules les plus sincères s'allièrent à un irréfragable désir de liberté et à la conviction très orgueilleuse de pouvoir assumer un destin qui dépasserait les buts ordinaires de la Compagnie et ferait plus pour
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