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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous
Autoren: Maurice Denuzière
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coloniaux, la cupidité des négociants dont Frontenac voulait limiter les privilèges, les querelles de préséance, les prétentions des subalternes incompétents, avaient fait le jeu des ennemis du protecteur de Cavelier.
    À Paris, on se souciait peu des conceptions coloniales de M. de La Salle. Pendant que ce dernier et ses compagnons risquaient leur vie pour agrandir le royaume de France, Louis XIV faisait de la décoration d'intérieur ! En avril 1682, tandis que Cavelier plante la colonne fleurdelisée dans la boue du delta sauvage, le roi, à Versailles, choisit des luminaires. Il hésite, nous dit Jacques de Saint-Germain 6 , entre des chandeliers représentant Hercule terrassant le lion et des candélabres supportés par le même Hercule étranglant l'hydre.
    Prompt à donner raison au dernier courtisan qui a parlé, le roi prêtait aussi l'oreille aux détracteurs du comte de Frontenac. C'est ainsi que le gouverneur du Canada avait été rappelé, comme le sont aujourd'hui les préfets de la République quand ils cessent de plaire !
    Le 1 er  mai 1682, alors que Cavelier grelottait de fièvre au fort Prudhomme, un nouveau gouverneur avait été nommé, M. Antoine Joseph Le Fèvre de La Barre. Ce général, ami des jésuites, alors âgé de soixante ans, avait été successivement intendant du Bourbonnais, de l'Auvergne, de Paris, puis gouverneur de la Guyane en 1663. Il avait conquis Cayenne sur les Hollandais, négocié avec la Compagnie des Indes des accords ouvrant le commerce des Antilles aux négociants français. Comme il restait sans fortune malgré une impudente propension à réclamer des pots-de-vin, il comptait bien, comme d'autres, s'enrichir au Canada.
    Quand, au mois de novembre 1683 Cavelier arrive à Québec, l'accueil est plutôt frais. La Barre à demi gâteux, déjà en relation d'affaires avec deux négociants, créanciers de l'explorateur, Le Bert et La Chesnaye, non seulement refuse d'octroyer les fournitures demandées par M. de La Salle mais confisque le fort Frontenac et tout ce qu'il contient, sous prétexte que le seigneur des Sauvages n'y a pas maintenu la garnison prévue par les lettres patentes de 1678 ! La Barre ne dit pas, en revanche, qu'il a conclu un accord financier avec les deux « repreneurs » des biens de M. de La Salle. Le gouverneur touchera désormais la moitié des bénéfices réalisés par La Chesnaye et Le Bert. Comme le vieux concussionnaire est inquiet, il fait ouvrir le courrier de Cavelier, supprime les passages qui mettent en valeur la découverte du Normand et ajoute des commentaires pernicieux à destination du ministre de la Marine. Ceux-ci sont de nature à faire croire que M. de La Salle est un mythomane, qu'il a perdu la tête et veut créer « un royaume imaginaire en débauchant tous les banqueroutiers et fainéants de ce pays ». N'en étant pas à une vilenie près, La Barre destitue le capitaine Henry de Tonty de son commandement du fort Saint-Louis des Illinois et donne à entendre aux Iroquois que, si un malheur arrivait aux aventuriers français qui soutiennent contre eux les Miami et les Illinois, il n'en ferait pas une affaire d'État !
    Il ne restait plus à M. de La Salle, bien qu'il eût des choses plus urgentes à entreprendre, qu'à traverser une nouvelle fois l'Atlantique, pour demander justice au roi. À Paris, il pouvait compter sur M. de Frontenac qui l'avait précédé en compagnie du père Zénobe Membré. Bien que récollet détesté par les jésuites, ce prêtre était non seulement un saint homme mais un témoin loyal et irréfutable du voyage dans le delta.
    Le 13 novembre 1683, Cavelier appareilla pour la France avec son Indien Nika et le major La Forest, commandant du fort Frontenac que le gouverneur renvoyait en France. En débarquant à La Rochelle, le 23 décembre 1683, il savait que seul M. de Seignelay, qui venait de succéder à son père, pouvait entendre ses justifications. Car le grand Colbert était mort le 6 septembre et on avait dû l'enterrer de nuit pour soustraire son corps à la fureur du peuple, qui le détestait à cause de la politique autoritaire imposée par l'intérêt national. Les bourgeois affairistes et les gens du négoce, qui voient rarement plus loin que le bout de leur tiroir-caisse, avaient mal supporté la création des manufactures de textiles et les ordonnances fiscales. Quelques jours avant sa mort, le grand ministre avait reçu, maigre consolation, l'acte officiel
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