Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
Thomas qui finalement ne réclame rien d’autre que l’application des accords, le roi réagit mollement. Il demande à son fils aîné, resté dans l’île, de veiller à la bonne restitution des biens de l’archevêché mais sans trop insister. Et lorsque Thomas se rend à Rouen, avant de franchir le Channel, pour rencontrer Henri comme cela en a été décidé entre eux, celui-ci n’est pas venu. C’est clairement un affront. Le 30 novembre, avant de quitter le continent, l’archevêque de Canterbury rend publique la bulle du pape l’autorisant à utiliser les sanctions canoniques et suspend et excommunie l’évêque d’York, qui a couronné Henri le Jeune, ainsi que les évêques de Londres et de Salisbury. Un engrenage de violence s’enclenche. L’archevêque débarque en Angleterre dans un climat très tendu. On raconte même que dans certains ports, on pariait sur le sort qui lui serait réservé. Il se rend d’abord à Londres. La foule l’acclame sur son chemin mais on craint pour sa vie et une escorte se forme pour le protéger. Il tente de voir le jeune roi mais celui-ci lui fait savoir qu’il n’a pas l’intention de le rencontrer. C’est un nouvel affront. Thomas repart vers Canterbury. Les officiers royaux multiplient les tracasseries contre l’archevêque. Tout est fait pour lui faire comprendre qu’il n’est pas le bienvenu. Henri le Jeune réunit à Winchester des grands du royaume et des prélats acquis à la cause royale pour statuer du cas des évêchés vacants qui dépendent de l’archevêché de Canterbury. Thomas n’est pas informé. Il est décidé d’envoyer des émissaires au roi pour régler le problème, là où il se trouve c’est-à-dire en Normandie. Cela revient à statuer en terre étrangère d’un fait relevant de l’Église d’Angleterre. Parmi les émissaires se trouvent les trois évêques excommuniés par Thomas. Ils rencontrent le roi – et sans doute la reine – à Bures le jour de Noël, se plaignent à lui, en rajoutent, parlent d’une armée qui entoure Thomas pour le protéger, affirment que l’archevêque se comporte comme un despote, qu’il a excommunié tous ceux qui assistaient au couronnement d’Henri le Jeune. Le roi s’écrie alors : « Je le suis aussi ! » Le ton monte. Une de ses célèbres et redoutées colères va-t-elle s’emparer d’Henri II ? Soudain le roi explose : « Voilà un homme qui a mangé mon pain après être arrivé sans un sou à ma cour. J’en ai fait un personnage considérable. Il m’a trahi, moi et les miens, et il ne se trouve personne pour venger mon honneur outragé ! »
Quatre chevaliers assistent à la scène. Ils s’appellent Renaud Fils-Ours, Guillaume de Tracy, Hugues de Moreville et Richard le Breton. Ils quittent la pièce en catimini et s’embarquent pour l’Angleterre. Sitôt leur départ connu, le roi, se doutant de leurs intentions, envoie son sénéchal, Richard du Hommet, de l’autre côté de la Manche avec mission de mettre le royaume en état d’alerte et de protéger la personne de l’archevêque de Canterbury. Une course contre la montre s’engage. Richard débarque le 27 décembre en Angleterre mais les quatre chevaliers l’ont précédé. Dans la nuit du 28 au 29, ils sont au château de Saltwood avec Ranulf de Broc où ils mettent au point les détails de leur action. Le 29 au matin ils partent pour Canterbury qu’ils atteignent quelques heures plus tard… La suite est connue. Ils assassinent sauvagement l’archevêque dans la cathédrale « entre l’autel de la Vierge et celui de saint Benoît ».
La nouvelle de la mort de Thomas Becket plonge toute l’Europe dans la consternation. Henri II est anéanti par une douleur dont la sincérité ne peut pas être mise en doute. Il refuse de s’alimenter et de parler à quiconque pendant trois jours, et « mena une existence solitaire, derrière des portes closes, pendant cinq semaines ». Aliénor, qui est encore à Bures au moment de la mort de l’archevêque, préfère ne pas rester auprès du roi. Peut-être la reine considère-t-elle qu’elle n’a décidément jamais eu sa place dans l’histoire de ces deux hommes et qu’il n’y a aucune raison qu’elle soutienne Henri. Elle retourne en Aquitaine auprès de son fils Richard.
Aliénor a trop de sens politique pour ne pas comprendre que le poids de l’assassinat de Thomas va peser, du moins en partie, sur les épaules d’Henri et que cela va
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