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Aesculapius

Aesculapius

Titel: Aesculapius
Autoren: Andrea H. Japp
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plus pâles sur la crasse de ses joues, dont l’une s’enflammait, portant avec netteté la trace d’une gifle violente. D’un geste inconscient, il s’essuya la bouche d’un revers de main, la renifla, un air de dégoût se peignant sur son visage.
    La tenancière se retourna et lui cracha d’un ton mauvais :
    — Eh ben ? J’te nourris à rien faire peut-être ? File à l’office et rends-toi utile. Vilain cafard !
    Druon soupira. La femme devait avoir cinquante ans, le garçonnet neuf ou dix. L’enfant surnuméraire d’une famille pauvre, vendu, ainsi qu’il se pratiquait, contre quelques deniers tournois* à un aubergiste, un commerçant, un seigneur, voire offert à un monastère comme serviteur. Bien peu de parents se préoccupaient de ce qu’il devenait ensuite, s’en remettant à l’infinie mansuétude de Dieu. Certains des enfants atterrissaient dans de bonnes familles. La plupart échouaient dans les souillardes, ou aux champs, traités à la manière d’esclaves, souffre-douleur et souvent objet de délassement des sens. Ceux qui ne mouraient pas de maladies, de mauvais traitements ou de faim, se sauvaient dès qu’ils en avaient l’opportunité, allant grossir les rangs des bandits de chemin ou ceux des ribauds 7 et des stipendiaires 8 .
    La femme s’approcha de la table de Druon, l’évaluant d’un regard égrillard et appuyé. Elle leva les bras au prétexte de rajuster son bonnet, dans le seul but de découvrir un peu plus sa poitrine flasque. Druon songea que certains hommes étaient peu regardants, à moins qu’ils fussent fort saouls. À vrai dire, il n’avait connu d’homme que son admirable père, et Pierre qui l’avait serré dans ses bras en pleurant et en le bénissant lorsque Héluise s’était métamorphosée en… lui.
    — Messire…
    — Chevalier, rectifia-t-il d’un ton sec et grave dont il espérait qu’il tempérerait les ardeurs de la gargotière en chaleur.
    Il n’avait pas usurpé ce titre par fanfaronnade, mais parce qu’il indiquait un homme de vaillance, capable de croiser le fer avec un opposant. Bien que sachant se défendre grâce à l’enseignement de son père, Druon espérait ainsi décourager nombre des petits voyous que l’on croisait sur les chemins ou dans les auberges où ils repéraient leurs futures « proies ».
    — Tudieu… Quel honneur pour mon humble établissement !
    — J’espère juste que la chère y est mangeable car je ne vois d’autres clients, remarqua Druon.
    — C’est que… j’suis veuve. C’est pas aisé pour une faible femme d’mener un commerce de c’genre.
    Druon considéra la « faible femme ». Elle était sans doute aussi grande que lui. Quant à sa taille, les bras d’un homme adulte ne devaient pas parvenir à l’enserrer.
    — Que puis-je pour vous plaire, seigneur chevalier ?
    — Une chambre sans vermine, un cruchon de vin buvable et un repas qui passe sans aigreurs d’estomac ou bouleversements d’intestins.
    Sur une moue qu’elle devait croire mutine et qui plissait la chair blême et grasse de ses bajoues, elle disparut vers les cuisines.
    Presque aussitôt le gamin reparut, portant avec précaution un cruchon et un gobelet de terre cuite qu’il posa devant Druon en bafouillant :
    — Vot’ vin, seigneur chevalier.
    Druon de Brévaux remarqua qu’il s’était lavé le bas du visage, sans toutefois pousser plus avant sa toilette, abandonnant une sorte de masque crasseux qui lui colorait la figure depuis le haut des pommettes jusqu’à la racine des cheveux.
    — Ton nom ?
    — Huguelin, seigneur.
    — Ton âge ?
    — Bientôt dix ans.
    — Depuis quand sers-tu ici ?
    — Trois ans, j’ crois. Ça fait trois étés, pour sûr.
    — Et le tavernier ?
    — L’est mort l’année dernière, aux Pâques. L’avait des écrouelles. Sauf que not’ bon roi 9 l’est pas passé par chez nous.
    — Et la bonne femme ? demanda Druon en désignant la direction des cuisines d’un mouvement de menton.
    — L’en a aussi, des répugnantes, sauf qu’elles sont plus bas que le cou, alors ça s’voit moins… enfin, quand elle s’rajuste.
    — La clientèle est rare, commenta Druon en jetant un regard vers la salle déserte.
    — Ben, c’est que vous avez pas encore goûté à votre assiette. Et pis, elle pense avec son cul. Pire qu’une chatte en chaleur, sauf qu’elle, ça lui dure l’année. Alors les femmes des environs veulent pas qu’leurs hommes 10
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