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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963
Autoren: Adam Braver
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son cœur vaillant et de sa chair exposée à votre service en Terre Sainte et percée de flèches païennes. Ami, ami, vous ne me reverrez plus. Ni vivante ni morte.
    Ô Ami sans fausseté, seul ami de tout homme, pitié pour tous ceux qui ont faim l’hiver, pour les corbeaux et pour les loups, et pour les lièvres dans leurs terriers et les cerfs dans les taillis, et pour toutes les bêtes dans l’air et sur terre ; et pour les moutons et les chèvres qui bêlent dans leur enclos, et pour les pauvres gens des villages qui n’ont que du pain de paille et de son pour s’emplir le ventre. Et pour ceux qui vont sur la route sans pain ni lard dans leur besace, sans vin dans leur gourde. Père très bon, si mon enfant s’en va ainsi sur la route, ne la faites pas vivre longtemps.
    Giraud le Lièvre, chef des gardes du château de Moustallet, en Auvergne, revenait de sa ronde avec cinq de ses compagnons ; le vent était tombé et il ne neigeait plus. Sur les monts la forêt s’étendait, noire et grise, et le village et les pentes blanches des champs paraissaient perdus dans cette forêt immense comme un îlot dans la mer. Le château, sur un monticule à bois clairsemés, dominait la vallée au tournant de la rivière. Une bonne fumée grise s’échappait de la cheminée du donjon et s’étalait sur le ciel blanc. Les six hommes soufflaient sur leurs mains et marchaient vite. On avait vu la meute des loups de l’autre côté du col.
    « Un homme dans le bois ! » dit tout à coup un des soldats. À la lisière de la forêt, près des arbres abattus la veille, une grande forme immobile et ramassée semblait guetter les passants, à une centaine de pas de la route. « Tire-lui un coup, Robert. » Robert leva son arc, mais le trouva raidi par le gel. « Pour un braconnier, il est bien tranquille, dit Giraud. Il sera mort de froid, par ce temps. — Hé ! bonhomme, hé ! ne te cache pas, on t’a vu. — Vas-y voir, Garin. — Vas-y toi-même. Un gros païen de cette espèce !
    — Giraud, écoute : il a plein de neige sur la tête et sur le dos. Sûr comme ma barbe, c’est un homme perdu. »
    « Tu vois, Robert ? » Au loin dans la vallée, sur la pente découverte, une longue tache noire se déplaçait lentement. Les hommes se signèrent. « Les maudits. Les diables. — Hé ! bonhomme ! » cria Giraud. Et comme l’homme ne bougeait pas, deux soldats allèrent à lui pour le secouer.
    Assis sur un moignon d’arbre coupé, les coudes sur les genoux, les poings sur les tempes, l’homme paraissait dormir. Robert le prit par les épaules. L’homme leva la tête ; sa figure d’un rouge violet, sa courte barbe et sa moustache couverte de givre lui donnaient l’air d’un saint Pierre de portail d’église. Il était borgne ; son œil unique clignotait et sa bouche était calme. Il avait l’air de sourire.
    « Qu’est-ce que tu fais là, gibier de potence ? demanda Robert, c’est la terre du Moustallet, ici, chasse gardée. Montre voir ta besace.
    — Eh ! tu vois bien qu’elle est vide, dit l’autre soldat. C’est un pèlerin, vois ses habits.
    — Drôle de temps pour aller en pèlerinage. Il a peut-être tué père et mère, cet oiseau-là. D’où es-tu, hé ! bonhomme. »
    L’homme dit : « Je suis chevalier.
    — Chevalier de la courte épée, peut-être. Viens avec nous, vieux. Il y a des loups dans le pays. »
    L’homme se leva lentement, faisant craquer ses jointures. Du coup, les deux soldats prirent peur, car il les dépassait de la tête. « Mes beaux garçons, dit-il poliment, je peux bien marcher ; mais j’y vois mal. Menez-moi. C’est cette neige qui me fait mal aux yeux. » Il mit sa grande main sur l’épaule de Robert, et se mit à marcher en clopinant. « Grand merci, frère, dit-il, sans vous j’y restais. Quand je pourrai je vous revaudrai ça. »
    Ce fut ensuite la bonne soupe aux pois dans une grande cuisine chaude. Les hommes, assis sur les bancs et par terre devant la cheminée séchaient leurs chaussures et leurs guêtres mordues par la neige ; l’odeur de cuir mouillé et de roussi se mêlait à celle de la soupe. Le seigneur lui-même ne mangeait pas autre chose ce jour-là, car c’était jour maigre, la veille des Rois. Le vagabond, assis sur un banc sous le manteau de la cheminée, son écuelle sur les genoux, frottait ses pieds nus et noirs contre la cendre tiède de l’âtre. Et comme il n’avait pas de cuiller la soupe
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