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Voyage en Germanie

Voyage en Germanie

Titel: Voyage en Germanie
Autoren: Lindsey Davis
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tenait bon, les dieux savent comment, le visage convulsé par l’effort. D’une embardée furieuse, le puissant bovidé dévia de sa trajectoire. Secouant violemment l’encolure en tous sens, il éjecta le jeune imbécile. La ruade expédia notre recrue loin dans la crique. Mais déjà, un autre fou était en train de tenter une prouesse stupide. M. Didius Falco, ayant jadis vu une fresque murale crétoise, choisit ce morne rivage germain pour arène où ressusciter l’art oublié de la danse taurine. Tandis que l’aurochs continuait à beugler après Lentullus, je fonçai droit sur l’animal et bondis à califourchon sur son dos.
    Le pelage était aussi rêche que de la corde d’amarrage et puait le fauve. Une queue emplâtrée de bouse me cingla l’échine. Je n’avais qu’une arme, glissée dans ma chaussure comme d’habitude : mon couteau. Tant bien que mal, je m’en saisis, m’agrippant de l’autre main à une corne. Je n’eus pas le temps de réfléchir : la mort allait s’abattre sur l’un de nous deux. Je m’arc-boutai, serrant les genoux tel un étau, tirai de toutes mes forces sur la puissante corne, redressai la tête, me penchai derrière une oreille nerveuse, un œil démoniaque, et commençai à taillader dans la gorge distendue de l’aurochs.
    La mort ne fut ni propre ni rapide. Il fallut plus de temps, et largement plus d’énergie que quiconque pourrait se l’imaginer après avoir un jour assisté, vêtu d’une toge immaculée, aux sacrifices taurins conduits par les délicats prêtres de Jupiter sur la colline du Capitole.

60
    — Par Mithras !
    Je crus que cette exclamation admirative émanait d’Helvetius, mais ce devait être de son domestique. J’avais le bras gauche si fermement cramponné que j’eus du mal à le dégager. Mes propres vêtements, ma peau semblaient imprégnés de la puanteur de l’animal. Je m’affalai à terre, tremblant de tous mes membres. Orosius accourut et me tira plus loin, en sécurité. Lentullus émergea de la crique en titubant, puis s’évanouit sur place.
    — Sûrement le choc, grommela Orosius en se détournant pour aller s’occuper de son compagnon. Découvrir qu’il est capable de faire quelque chose de ses dix doigts…
    Je me sentais écœuré… de moi-même, de l’animal dont la fureur m’avait obligé à cette boucherie, et du sang chaud dont je ruisselais de la tête aux pieds. J’appuyai le front contre le dos de ma main, puis m’égouttai le front en sentant qu’il y avait du sang là aussi. Tant bien que mal, je me traînai jusqu’à Helvetius. Son domestique, qui s’appelait Dama, leva les yeux vers moi.
    — Je savais bien que j’aurais mieux fait de partir à Mœsia… geignit-il avec amertume.
    Puis il éclata en sanglots. Helvetius était mort.
    À peine avais-je ravalé ma propre détresse que quelques membres du groupe de chasse du légat se risquèrent à resurgir, menés par le Gaulois au rictus, décidé sans aucun doute à sauver sa peau.
    L’affrontement fut bref. J’étais encore agenouillé à côté d’Helvetius, lui étreignant la main. Je lançai au Gaulois :
    — Je ne veux plus jamais revoir ta trogne, que ce soit en Germanie libre ou romaine. Tu as tué pour protéger ton négoce, et tué pour te protéger, toi. C’en est terminé.
    — Des preuves ? lança-t-il, sarcastique, en désignant le centurion mort.
    Dama prit soudain la parole. Il s’adressa à moi, comme s’il ne pouvait s’autoriser à parler à l’assassin de son maître.
    — Helvetius Rufus était un homme secret, mais il me parlait quand je l’aidais à enfiler son armement. Il m’a dit ce qu’il avait vu en Gaule.
    — Accepterais-tu de témoigner devant un tribunal ?
    Il acquiesça.
    Le Gaulois brandit une lance. Son intention était claire. Mais nous n’étions plus seuls et vulnérables. Ensemble, Orosius et Lentullus armèrent eux aussi leurs javelines, prêts à lancer.
    Je me relevai, couvert de sang. Je devais avoir l’air effrayant.
    — Un mot de travers, un geste qui me déplaise, et je me ferai un plaisir de te montrer ce que ressent l’aurochs maintenant qu’il est mort !
    Les hommes qui l’accompagnaient reculèrent tous lentement. Je les envoyai au diable d’un geste furieux. Ils disparurent tout aussi lentement de notre champ visuel, emportant le Gaulois de Lugdunum avec eux. J’ignore ce qu’il advint d’eux par la suite, d’ailleurs leur sort m’importe peu. En tant que Celtes, ils
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