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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France
Autoren: Pascal Sevran
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passer un après-midi calme, et rien n’aurait pu troubler ma sérénité. Des fenêtres voisines montait l’indicatif du journal télévisé, et j’ai proposé à ma logeuse que nous regardions ensemble les informations de la journée.
    Nous nous sommes installés devant le gros poste en bois ciré, qui était posé sur une étagère haut perchée dans le salon d’attente où, quelques heures plus tôt, la police nous avait interrogés.
    — Allumez-le monsieur Laurent, j’ai peur de tomber en montant sur une chaise.
    Il ne s’était rien passé d’important ce jour-là. Je m’en souviendrais. Le présentateur nous confirma qu’il avait fait très beau, que les plages de France battaient des records d’affluence, il cita le général de Gaulle à plusieurs reprises, et nous vîmes des images d’Algérie où il faisait beau aussi, malgré tout.
    M me  Donadieu n’écoutait pas vraiment, occupée qu’elle était à répondre au téléphone et à nous servir deux verres de Martini glacé.
    — Vous croyez qu’ils vont parler de nous ?
    J’en doutais et j’avais raison. Le meurtre d’une prostituée ne dérange pas les affaires du monde.
    M me  Donadieu était quand même déçue. Moi aussi.
    Nous avons bavardé un moment en picorant des gâteaux salés et, pour finir, le photographe que je surveillais, grâce à un jeu de glaces, s’en est allé, lassé d’attendre un événement qui ne se produisait pas.
    La rue Dugommier retrouvait son aspect des soirs ordinaires, je pouvais ressortir sans crainte.
    Je suis allé boire de la bière, place de la Nation, dans un grand café éclairé au néon, où des filles en jupe large dansaient sans s’occuper de moi, devant des appareils à sous qui faisaient de la musique moderne.
    Une journée étonnante qui s’achevait drôlement.

IX
    Il y avait, paraît-il, rue des Martyrs à Montmartre, un accordéoniste d’origine roumaine, qui jouait à merveille des tangos argentins et des valses musette, dans un cabaret à la mode, fréquenté par des artistes.
    — Allez le voir de ma part, m’avait conseillé M me  Donadieu, c’est un ancien client à moi, il vous trouvera peut-être quelque chose…
    Il fallait que je travaille, en effet. Je connaissais par cœur le XII e  arrondissement, j’avais des habitudes avec une crémière prénommée Jeanine, certains joueurs de boules de la place Daumesnil soulevaient leur béret en passant devant moi, j’entretenais avec ma logeuse des conversations sans fin en prenant l’apéritif, mais tout cela ne suffit pas à remplir l’existence d’un garçon normalement constitué.
    La nuit me convenait. J’ai mis un costume sombre, celui que je portais déjà à l’enterrement. Il m’allait encore très bien. M me  Donadieu avait repassé ma chemise blanche, et pour ne pas paraître endimanché, j’avais eu la bonne idée de nouer un foulard de soie bleue autour de mon cou.
    J’allais me présenter dans un cabaret de Montmartre comme on va au certificat d’études, l’estomac noué par l’émotion, sûr que mon destin dépendait de ce rendez-vous avec un accordéoniste.
    Ce qui frappe l’imagination quand on sort du métro Anvers, c’est de tomber brusquement sur une foule de gens en promenade à minuit. J’étais à Pigalle et j’avais lu ce qu’il faut en savoir dans les revues de cinéma, mais d’être là, sur ce boulevard allumé, plein de cafés bruyants, j’avais le sentiment de rattraper du temps perdu.
    On ne rencontre nulle part ailleurs des femmes, cheveux défaits, émerveillées de plaisir, devant un stand de tir à la carabine où s’exercent gravement leurs futurs fiancés.
    Mes étonnements auraient pu faire sourire si j’avais eu quelqu’un à qui me confier, mais j’arrivais de province et cela ne se remarquait pas trop.
    Aurais-je osé pousser la porte de « La Maison rose » si mon père, devenu préfet entre-temps, avait eu encore à s’occuper des affaires de la Haute-Vienne ? Rien n’est moins sûr. Il formait pour moi des vœux plus conforme à l’idée qu’il se faisait de la réussite. Et c’est vrai, je n’avais pas été élevé pour entrer timidement dans l’ombre bleutée d’un cabaret de la rue des Martyrs, à la recherche d’une place de barman.
    Il fallait écarter un lourd rideau de velours rouge, accroché en arc de cercle, qui ajoutait d’emblée à l’intimité des lieux. L’endroit m’apparut comme je l’avais rêvé, comme me l’avaient
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