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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
Autoren: Filip Muller
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était pour nous un élixir et sa distribution un événement qui faisait date dans notre existence, surtout lorsque nous pouvions obtenir une ration supplémentaire.
    J’attendais avidement dans la longue file de détenus que le service des chambrées versât dans mon écuelle de fer-blanc une louche de soupe. Sans me servir de la cuiller, j’en dégustais lentement chaque gorgée. J’avais alors l’impression de me recharger d’énergie vitale. Mais j’étais toujours aussi frustré de devoir me contenter d’une si maigre ration. Je me rendais ensuite dans la chambrée, plus assoiffé qu’affamé, pour m’étendre et passer l’après-midi du dimanche sur les lits de repos réglementaires.
    Les services de chambrées étaient assurés par deux détenus qui se reposaient sur un lit de camp, munis chacun d’une couverture. Je disposais d’une place dans la partie inférieure de mon couchage, situé dans un coin, près de la porte. Un détenu de vingt-cinq ou de vingt-six ans était installé à côté de moi. Le lit que nous partagions à deux nous rapprochait l’un de l’autre, et nous permettait, dans le vacarme général de la chambrée, de nous faire des confidences :
    — D’où viens-tu, camarade ? lui demandai-je.
    — Pas compris, camarade, me répondit-il.
    — Tu ne parles pas allemand ?
    — Un peu, pas beaucoup.
    — Je m’appelle Filip, et je viens de Slovaquie, tentai-je.
    Il répondit :
    — Moi, Maurice, d’Algérie ; je viens de Drancy. Moi, foutu… nous, tous foutus ici…
    À l’aide de gestes et de mots péniblement articulés, il essaya de me représenter que tôt ou tard nous serions conduits au four crématoire.
    Soudain, Schlage apparut à la porte. « Un peu de silence ici, tas de pouilleux, sinon ça va barder ! » hurla-t-il. Lorsque Schlage se montrait, un silence total régnait dans la chambrée, et les hommes de corvée, dissimulant leur peur du chef S.S., poussaient à coups de bâton vers le bat-flanc le plus proche les détenus qui n’étaient pas encore étendus. Schlage, s’appuyant négligemment contre le chambranle de la porte, suivait avec intérêt les poursuites de ses sbires. Il regarda autour de lui d’un air méprisant, puis il s’en alla. Dans le calme qui s’ensuivit, on entendit quelques prisonniers tousser ou gémir. La plupart d’entre nous, épuisés par toute cette matinée de sévices, s’assoupirent. De nombreux détenus ronflaient ; moi-même, je sentais venir le sommeil et pourtant je ne parvenais pas à m’endormir. Je ne pouvais m’empêcher de penser au D r  Paskus. Ma soif devint ardente. La langue me collait au palais, ma gorge était sèche. Il était inutile de se glisser furtivement jusqu’au robinet du bloc ; la plupart du temps, l’eau était coupée. Mon voisin de lit de camp souffrait lui aussi de la soif. Il me dit quelques mots que je ne compris pas. Je lui demandai en allemand :
    — Qu’est-ce que tu dis ?
    — De l’eau, de l’eau, répéta-t-il. De l’eau, demande de l’eau.
    À l’aide de mimiques et de gestes, il me fit comprendre ce qu’il voulait faire. Je saisis finalement qu’il me proposait de se glisser avec moi dans la cour. C’est là que se trouvaient les cuves de thé et nous réussissions parfois à y étancher notre soif lancinante. L’idée me séduisit. Le moment de la réaliser paraissait favorable, car presque tout le monde était assoupi. De plus, la pensée que Vacek pouvait, ce soir encore, faire jeter la précieuse boisson m’encouragea dans ce projet. La perspective de pouvoir satisfaire la soif qui me brûlait la gorge me fit négliger le risque d’être surpris. Sans bruit, sur la pointe des pieds, nous nous glissâmes, Maurice et moi, de notre lit de camp jusqu’à la porte entrouverte. Maurice passa la tête à l’extérieur, scruta à droite et à gauche, et me fit signe de le suivre. Nous marchions à pas de loup, et prudemment nous descendîmes les marches de pierre. Le silence au-dehors était de plomb. Sur notre droite, le mur noir des exécutions ; je ne prêtai aucune attention à la potence dans l’angle du mur ; je ne pensais qu’aux deux cuves de thé qui étaient là, sur notre gauche. L’envie de nous désaltérer nous rendit soudain presque fous et nous oubliâmes toute prudence en nous précipitant vers notre objectif. Mon visage amaigri, aux traits tirés, se refléta sur la surface sombre du précieux liquide. Mon image me fit peur mais
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