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TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA

Titel: TOCQUEVILLE AU BAS-CANADA
Autoren: Alexis de Tocqueville
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1831.

        Une des choses qui piquaient le plus vivement notre curiosité en venant en Amé­rique, c'était de parcourir les extrêmes limites de la civilisation européenne et même, si le temps nous le permettait, de visiter quelques-unes de ces tribus indiennes qui ont mieux aimé fuir dans les solitudes les plus sauvages que de se plier à ce que les blancs appellent les délices de la vie sociale. Mais il est plus difficile qu'on ne croit de rencontrer aujourd'hui le désert. À partir de New York et à mesure que nous avan­cions vers le nord-ouest, le but de notre voyage semblait fuir devant nous. Nous parcourions des lieux célèbres dans l'histoire des Indiens ; nous rencontrions des vallées qu'ils ont nommées ; nous traversions des fleuves qui portent encore le nom de leurs tribus mais partout, la hutte du sauvage avait fait place à la maison de l'homme civilisé. Les bois étaient tombés, la solitude prenait une vie.

        Cependant nous semblions marcher sur les traces des indigènes. Il y a dix ans, nous disait-on, ils étaient ici ; là, cinq ans ; là, deux ans. Au lieu où vous voyez la plus belle église du village, nous racontait celui-ci, j'ai abattu le premier arbre de la forêt. Ici, nous racontait un autre, se tenait le grand conseil de la Confédération des Iro­quois. - Et que sont devenus les Indiens, disais-je ? - Les Indiens, reprenait notre hôte, ils ont été je ne sais trop où, par delà les Grands Lacs. C'est une race qui s'éteint ; ils ne sont pas faits pour la civilisation : elle les tue.

         L'homme s'accoutume à tout. A la mort sur les champs de bataille, à la mort dans les hôpitaux, à tuer et à souffrir. Il se fait à tous les spectacles. Un peuple antique, le premier et le légitime maître du continent américain, fond chaque jour comme la neige aux rayons du soleil et disparaît à vue d’œil de la surface de la terre. Dans les mêmes lieux et à sa place, une autre race grandit avec une rapidité plus étonnante encore. Par elle les forêts tombent, les marais se dessèchent ; des lacs semblables à des mers, des fleuves immenses s'opposent en vain à sa marche triomphante. Les déserts deviennent des villages, des villages deviennent des villes. Témoin journalier de ces merveilles, l'Américain ne voit dans tout cela rien qui l'étonne. Cette incroya­ble destruction, cet accroissement plus surprenant encore lui paraît la marche habituelle des événements de ce monde. Il s'y accoutume comme à l'ordre immuable de la nature.

        C'est ainsi que, toujours en quête des sauvages et du désert, nous parcourûmes les 360 milles qui séparent New York de Buffalo.

        

      Le premier objet qui frappa notre vue fut un grand nombre d'Indiens, qui s'étaient réunis ce jour-là à Buffalo pour recevoir le paiement des terres qu'ils ont livrées aux États-Unis.

          Je ne crois pas avoir jamais éprouvé un désappointement plus complet qu'à la vue de ces Indiens. J'étais plein des souvenirs de M. de Chateaubriand et de Cooper et je m'attendais à voir dans les indigènes de l'Amérique des sauvages sur la figure des­quels la nature avait laissé la trace de quelques-unes de ces vertus hautaines qu'en­fante l'esprit de liberté, Je croyais rencontrer en eux des hommes dont le corps avait été développé par la chasse et la guerre et qui ne perdaient rien à être vus dans leur nudité. On peut juger de mon étonnement en rapprochant ce portrait de celui qui va suivre :

        Les Indiens que je vis ce soir-là avaient une petite stature ; leurs membres, autant qu'on en pouvait juger sous leurs vêtements, étaient grêles et peu nerveux ; leur peau, au lieu de présenter une teinte de rouge cuivre, comme on le croit communément, était bronze foncé de telle sorte qu'au premier abord, elle semblait se rapprocher beaucoup de celle des mulâtres. Leurs cheveux noirs et luisants tombaient avec une singulière roideur sur leurs cols et sur leurs épaules. Leurs bouches étaient en général démesurément grandes, l'expression de leur figure ignoble et méchante. Leur physionomie annonçait cette profonde dépravation qu'un long abus des bienfaits de la civilisation peut seul donner. On eût dit des hommes appartenant à la dernière popu­lace de nos grandes villes d'Europe. Et cependant c'étaient encore des sauvages. Aux vices qu'ils tenaient de nous, se mêlait quelque chose de barbare et d'incivilisé qui les
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