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Terribles tsarines

Terribles tsarines

Titel: Terribles tsarines
Autoren: Henri Troyat
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réprouve correspond au vœu secret de la nation.
    Dans son entourage, certains ont assisté à l'avènement, en 1725, d'une autre Catherine, la première du nom. Ceux-là ne peuvent s'empêcher de penser que trente-sept ans se sont écoulés depuiset qu'au cours de cette période quatre femmes ont occupé tour à tour le trône de Russie : les impératrices Catherine I re , Anna Ivanovna et Élisabeth I re , avec le bref intermède d'une régence assurée par Anna Léopoldovna. Comment éviter que les survivants ne comparent entre elles les différentes souveraines qui ont successivement, et en si peu de temps, incarné le pouvoir suprême ? Les plus vieux, rappelant leurs souvenirs, relèvent de bizarres similitudes entre ces autocrates en robe. Chez Catherine I re , Anna Ivanovna et Anna Léopoldovna, ils décèlent la même lubricité, les mêmes débordements dans le plaisir et la cruauté, le même goût pour la bouffonnerie et la laideur, alliés à la même recherche du luxe et au même besoin de jeter de la poudre aux yeux. Cette frénésie primitive et cet égoïsme foncier se sont retrouvés chez Élisabeth, mais tempérés par le souci de paraître « clémente », conformément au surnom qu'on lui avait donné dans le peuple. Certes, pour des familiers de la cour, cent autres particularités distinguent la façon d'être de chacune de ces personnalités excessives. Mais, pour quiconque n'a pas vécu dans leur sillage, il semble par moments que la confusion soit totale. Est-ce Catherine I re , ou Anna Léopoldovna, ou Anna Ivanovna, ou Élisabeth I re qui a imaginé cette nuit de noces des deux bouffons enfermés dans un palais de glace ? Laquelle de ces ogresses omnipotentes a eu pour amant un cosaque, chantre de la chapelle impériale ? Laquelle des quatre s'est divertie autant des grimaces de ses nains que desgémissements des prisonniers mis à la torture ? Laquelle a conjugué, avec une avidité dévorante, les plaisirs de la chair et ceux de l'action politique ? Laquelle a été bonne pâte tout en assouvissant ses instincts les plus vils, pieuse tout en insultant Dieu à chaque pas ? Laquelle, bien que sachant à peine lire et écrire, a ouvert une université à Moscou et a permis à un Lomonossov de jeter les fondements de la langue russe moderne ? Pour les contemporains éberlués, il n'y a pas eu, durant ce laps de temps, trois tsarines et une régente, mais une seule femme, tyrannique et jouisseuse, qui, sous des visages et des noms différents, a inauguré l'ère du matriarcat en Russie.
    C'est peut-être parce qu'elle a beaucoup aimé les hommes qu'Élisabeth a tant aimé les dominer. Et eux, ces éternels fiers-à-bras, ont été heureux de sentir son talon sur leur nuque, et même ils en ont redemandé ! En réfléchissant au destin de ses illustres devancières, Catherine se dit que cette faculté d'être tour à tour moralement masculine dans les décisions politiques et physiquement féminine au lit doit être la caractéristique de toutes ses congénères, dès qu'elles se piquent d'avoir une opinion sur les affaires de l'État. Au lieu d'émousser leur sensualité, l'exercice de l'autocratie l'exacerbe. Plus elles assument de responsabilités dans la conduite de la nation et plus elles éprouvent le besoin d'assouvir leur instinct génésique, refoulé pendant les ennuyeuses discussions ministérielles. Ne serait-ce pas la preuve de l'ambivalence originellede la femme qui, loin d'avoir pour seules vocations le plaisir et la procréation, est autant dans son rôle quand elle dirige le destin d'un peuple ?
    Subitement, Catherine est éblouie par une évidence historique : plus qu'aucune autre terre, la Russie est l'empire des femmes. Elle rêve de la modeler à son idée, de la polir sans la dénaturer. De la première Catherine à la seconde, les mœurs ont évolué imperceptiblement. La robuste barbarie orientale se donne déjà, dans les salons, de faux airs de culture européenne. La nouvelle tsarine est résolue à encourager la métamorphose. Mais sa prochaine ambition est de faire oublier ses origines germaniques, son accent allemand, son ancien nom de Sophie d'Anhalt-Zerbst et d'apparaître à tous les Russes comme la plus russe des souveraines, l'impératrice Catherine II de Russie. Elle a trente-trois ans et toute la vie devant elle pour attester sa valeur. C'est plus qu'il n'en faut quand on a, comme elle, foi en son étoile et en son pays. Peu lui importe
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