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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah
Autoren: Patrick Girard
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te considère
d’ores et déjà comme l’un des nôtres. Toutefois, nous ne pouvons t’accepter
officiellement parmi nous, ici, à Rome. Celui qui prendrait cette
responsabilité serait, conformément à votre loi, mis à mort.
    — Je dois donc demeurer
chrétien !
    — Il y a une solution qui exige
de toi bien des sacrifices.
    — J’y suis prêt !
    — Je n’en doute pas. Je te
suggère de quitter discrètement cette ville et de t’embarquer pour Narbonne. De
là, tu gagneras l’Ishbaniyah et je te donnerai une lettre pour l’un de mes
cousins qui vit à Sarakusta. Les Ismaélites interdisent aux leurs l’apostasie,
mais, sous leur domination, un Chrétien peut devenir juif ou un Juif, chrétien.
Sache toutefois qu’en devenant l’un des nôtres, tu seras rejeté par les tiens
et considéré comme un pestiféré. Il te sera interdit de retourner en Ifrandja
et de revoir tes proches.
    — Mes parents sont morts et
j’ai de mauvaises relations avec mes frères qui ont tenté de me déposséder
d’une partie de ma fortune. Heureusement, j’ai pu en sauver une grande partie
que j’ai emportée avec moi à Rome. Je voulais faire des donations pieuses à
plusieurs églises et monastères. J’y ai renoncé quand j’ai vu l’impiété dans
laquelle vivent ceux qui prétendent servir Dieu.
    Silencieux jusque-là, David Ben
Daniel se décida à sortir de son mutisme :
    — Voilà qui me rassure. Il y a
un point qu’Ezra Ben Jacob a omis de mentionner et cela est tout à son honneur.
Tu devras dédommager ton compagnon car, en acceptant de t’aider, il se condamne
à l’exil. S’il retournait à Aix-la-Chapelle, ton maître pourrait l’accuser de
t’avoir influencé et le faire exécuter. Laisse-lui le temps de prévenir les
siens afin qu’ils se mettent en route pour Sarakusta. Quand ils seront arrivés
sains et saufs, tu seras libre de réaliser ton vœu si tu le désires encore.
    Bodo suivit le conseil de son ami et
il attendit d’être arrivé à Sarakusta pour se convertir. Il prit le nom
d’Éléazar Ben Abraham et épousa la fille d’un négociant local. Contrairement
aux prêtres et aux moines, les Chrétiens de la ville l’observaient moins avec
haine que curiosité. Ils ne comprenaient pas qu’un noble franc, qui plus est
confesseur d’un souverain, ait pu renoncer à ses privilèges et accepter d’être
ravalé au rang de dhimmi. Qu’il ait changé de foi les choquait moins. Dans
leurs propres familles, il n’était pas rare que l’un des fils se convertisse à
l’islam ou qu’une fille épouse un Musulman et adopte la religion de son époux
ou élève dans celle-ci ses enfants. Ces apostasies n’empêchaient pas les uns et
les autres d’habiter le même quartier, de se voir quotidiennement et de
continuer à entretenir des relations dont les plus retors savaient tirer
profit. Lors d’un mariage chrétien, il pouvait arriver qu’un oncle musulman
fasse au fiancé ou à la fiancée un somptueux présent et, en contrepartie, ses
parents veillaient à ce qu’aucun mets prohibé ne lui soit servi lors de la
noce.
    En dépit des consignes de modération
données par le chef de la communauté juive de Sarakusta, Éléazar, tout en
s’abstenant de faire du prosélytisme auprès des Musulmans, s’y était essayé
auprès de quelques jeunes Chrétiens. Il n’avait pas son pareil pour leur citer
des passages des Écritures mettant à mal leurs dogmes. Quand certains
affirmaient la divinité du Christ, le Fils de Dieu qui s’était fait homme parmi
les hommes, il leur citait Jérémie : « Ainsi parle l’Éternel :
maudit l’homme qui se confie en l’homme, qui fait de la chair son appui et dont
le cœur s’écarte de Dieu [120] . »
Quand d’autres lui expliquaient que le Christ était venu pour sauver tous les
êtres humains et qu’Israël avait, de ce fait, perdu son caractère de peuple
choisi par le Seigneur, il rétorquait en invoquant Isaïe : « Les
nations sont comme une goutte d’eau au bord d’un seau, on en tient compte comme
d’une miette sur une balance [121]  »
ou bien cet autre verset : « Tandis que les ténèbres s’étendent sur
la terre et l’obscurité sur les peuples, sur toi se lève l’Éternel, et sur toi
sa gloire paraît [122] . »
Et il achevait sa démonstration en récitant un psaume : « Il a révélé
à Jacob Sa parole, Ses lois et jugements à Israël ; pas un peuple qu’il
n’ait ainsi traité, pas un qui ait
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