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Sur la scène comme au ciel

Sur la scène comme au ciel

Titel: Sur la scène comme au ciel
Autoren: Jean Rouaud
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vous fait plaisir, eh bien de la
morphine, docteur, car vous savez, parfois j’en ai tellement marre, ah non, il
voulait parler de foie gras, ou de confit, ou de beurre blanc.
     
     
     
    C’est venu malgré moi, à mon insu, c’est-à-dire que j’ai
bien vu que quelque chose venait mais sans en comprendre la raison, l’ardente
nécessité, et pourtant quelque chose, autre chose, à ce moment vous dit que ce
n’est certainement pas par hasard cette image qui abruptement s’impose à vous,
de sorte que j’ai laissé venir, laissé écrire, accompagné le mouvement. Un
grand débat a agité autrefois les passionnés de théorie littéraire, et
peut-être encore aujourd’hui où il s’en trouve pour faire le distinguo entre
ceux qui d’emblée annoncent la couleur, leur ambition de faire œuvre
littéraire, et les autres qui feraient de la littérature comme monsieur
Jourdain, s’en remettant au lecteur pour qu’il donne son
verdict – c’en est-il ou c’en est-il pas –, ce qui ressemble à
un avatar de cette querelle plus ancienne portant sur l’intentionnalité :
d’un côté les tenants d’une intention claire et lucide de l’auteur, tout ce que
dit le texte a été voulu, pensé et prémédité par l’auteur – ce qui,
quoi qu’on dise, n’est pas se prendre pour Dieu, lequel dans la Genèse est
beaucoup moins catégorique, donnant plutôt l’impression d’une grande
improvisation, fonctionnant par approximation, tâtonnement, ne conservant au
final que ce qu’il juge bon, du genre voilà qui m’a l’air pas mal, mais sans
plus de garantie, ce que prouvera la suite, et aurait-il eu comme un ordinateur
une sorte de corbeille, de poubelle, on y trouverait toutes les ébauches, les esquisses,
les rejets de cette folle semaine –, et de l’autre ceux qui tiennent
l’auteur pour un intrus, un incongru, une erreur, et cherchent à tout prix à
s’en débarrasser, allant jusqu’à publier officiellement, dans une note
littéraire de soixante-huit, son faire-part de décès, nous avons la joie et la
douleur de vous annoncer la mort de l’auteur, et, une fois leur forfait
accompli, considèrent que, le texte parlant de lui-même, l’étourdi qui l’a
prétendument écrit et abusivement signé a d’autant moins son mot à dire que
d’ailleurs on ne l’a pas sonné.
    Ce qui est dommage car justement, là, à propos de cette
image qui abruptement s’est imposée, je pourrais témoigner d’une intention
enfouie, c’est-à-dire que ce texte que vous avez honnêtement l’impression d’avoir
écrit a gardé de manière souterraine son secret pendant plusieurs mois avant de
se dévoiler dans sa lumineuse clarté, comme s’il vous avait ménagé un temps
d’incubation afin de vous préparer à la violence de la révélation. Et pourtant
dès le début il ne fait pas mystère : Elle ne lira pas ces lignes, et pour cause, puisque elle, c’est ma mère, qui vient de mourir six mois plus
tôt, et donc l’intention est claire et limpide, il s’agit pour l’auteur, bien
entendu abusif, d’écrire un livre sur sa mère, ce qui ne constitue pas une
première, laquelle, du fait qu’elle n’est plus, et alors que de son vivant elle
lisait ses précédents livres, ne lira pas celui-là qui va parler d’elle. Ce
qui, de fait, modifie la perspective. Comprenons qu’auparavant il lui aurait
déplu, à l’auteur, de lui déplaire, de la contrarier, de la blesser par une
remarque désobligeante, une révélation peu opportune, de sorte que cette
lecture in fine de la génitrice n’était pas sans influencer l’écriture
des romans. Elle exerçait à distance une forme, sinon de censure, du moins de
vigilance, qui obligeait à des détours, des circonlocutions, à composer avec
les ombres, à travailler en creux, à user de la périphrase, de la litote, à
charge pour le lecteur complice de décoder, de lire entre les lignes.
     
     
     
    Est-ce là son projet dont il avait fait part de me rendre la
parole ? Est-ce à dire que je dois lui rendre la pareille ? Je veux
bien croire que sa proposition part d’un bon sentiment, mais m’accorderait-il
ce droit de réponse si, ce livre qu’il m’a consacré, il doutait que de mon
vivant il eût reçu mon entière approbation ? En quoi il n’était pas besoin
d’être devin, ce qui donne cette impression, fausse bien sûr, mais impression
tout de même, qu’il attendait pour se lancer que je m’en aille. Et donc gêné
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