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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France
Autoren: Maurice Druon
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vers le Seigneur pour lui rendre
grâces de tant de bienfaits ? Point du tout ; il est oublieux de son
créateur, fait la tête fière et s’emploie à braver tous les commandements. Mais
dès que le malheur le frappe et que survient la calamité, alors il se rue à
Dieu. Et il prie, et il s’accuse, et il promet de s’amender… Dieu a donc bien
raison de l’accabler, puisque c’est la seule manière, semble-t-il, de faire que
l’homme lui revienne…
    Je n’ai pas choisi mon état. C’est
ma mère, peut-être le savez-vous, qui me l’a désigné quand j’étais enfant. Si
j’y ai convenu, c’est, je crois, parce que de toujours j’ai eu gratitude envers
Dieu de ce qu’il me donnait, et d’abord de vivre. Je me rappelle, tout petit,
dans notre vieux château de la Rolphie, à Périgueux, où vous êtes né vous-même,
Archambaud, mais où vous n’habitez plus depuis que votre père a choisi, voici
quinze ans, de résider à Montignac… eh bien là, dans ce gros château assis sur
une arène des anciens Romains, je me rappelle cet émerveillement qui
m’emplissait soudain d’être vivant au milieu du vaste monde, de respirer, de
voir le ciel ; je me rappelle avoir ressenti cela surtout les soirs d’été,
quand la lumière est longue et qu’on me conduisait au lit bien avant que le
jour ne soit tombé. Les abeilles bruissaient dans une vigne qui grimpait au
mur, sous ma chambre, l’ombre lentement emplissait la cour ovale, aux pierres
énormes ; le ciel était encore clair où passaient des oiseaux, et la
première étoile s’installait dans les nuées qui restaient roses. J’avais un
grand besoin de dire merci et ma mère m’a fait comprendre que c’était à Dieu,
organisateur de toute cette beauté, qu’il fallait le dire. Et cela jamais ne
m’a abandonné.
    Ce jour d’hui même, tout au long de
notre route, j’ai souvent un merci qui me vient au cœur pour ce temps doux que
nous avons, ces forêts rousses que nous traversons, ces prés encore verts, ces
serviteurs fidèles qui m’escortent, ces beaux chevaux gras que je vois trotter
contre ma litière. J’aime à regarder le visage des hommes, le mouvement des
bêtes, la forme des arbres, toute cette grande variété qui est l’œuvre infinie
et infiniment merveilleuse de Dieu.
    Tous nos docteurs qui disputent
théologie dans des salles closes, et se lardent de creuses paroles, et
s’invectivent de bouche amère, et s’assomment de mots inventés pour nommer
autrement ce qu’on savait avant eux, tous ces gens feraient bien de se guérir
la tête en contemplant la nature. Moi, j’ai pour théologie celle qu’on m’a apprise,
tirée des pères de l’Église ; et je ne me soucie point d’en changer…
    Vous savez que j’aurais pu être
pape… oui, mon neveu. D’aucuns me le disent, comme ils disent aussi que je
pourrais l’être si Innocent dure moins que moi. Ce sera ce que Dieu voudra. Je
ne me plains point de ce qu’il m’a fait. Je le remercie qu’il m’ait mis où il
m’a mis, et qu’il m’ait conservé jusqu’à l’âge que j’ai, où bien peu
parviennent… cinquante-cinq ans, mon cher neveu… et aussi dispos que je suis.
Cela aussi est bénédiction du Seigneur. Des gens qui ne m’ont pas vu de dix ans
n’en croient pas leurs yeux que j’aie si peu changé d’apparence, la joue
toujours aussi rose, et la barbe à peine blanchie.
    L’idée de coiffer ou de n’avoir pas
coiffé la tiare ne me chatouille, en vérité… je vous le confie comme à un bon
parent… que lorsque j’ai le sentiment que je pourrais mieux agir que celui qui
la porte. Or, ce sentiment-là, je ne l’ai jamais connu auprès de
Clément VI. Il avait bien compris que le pape doit être monarque par-dessus
les monarques, lieutenant général de Dieu. Un jour que Jean Birel ou quelque
autre prêcheur de dépouillement lui reprochait d’être trop dispendieux et trop
généreux envers les solliciteurs, il répondit : « Personne ne doit se
retirer mécontent de la présence du prince. » Puis, se tournant vers moi,
il ajouta entre ses dents : « Mes prédécesseurs n’ont pas su être
papes. » Et pendant cette grande peste, comme je vous le disais, il nous
prouva vraiment qu’il était le meilleur. Je ne crois point, tout honnêtement,
que j’eusse pu faire autant que lui, et j’ai remercié Dieu, là encore, qu’il ne
m’ait point désigné pour conduire la chrétienté souffrante au travers de
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