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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe
Autoren: Max Gallo
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effilée dans le flanc jusqu’à la
garde – et jusqu’au cœur.
     
    Ils attendaient cela, ces ligueurs qui, en Bretagne, dans
l’Anjou, le Maine, le Poitou, menaient la guerre aux troupes royales, attachant
leurs prisonniers aux ailes des moulins, jetant les vivants dans les basses
fosses où pourrissaient les cadavres, violant toutes les femmes, égorgeant les
paysans et défendant qu’on les enterre, car, disait l’un d’eux, « l’odeur
des cadavres est suave et douce ».
    Et cela, Seigneur, en Votre nom !
    Et les huguenots, tout aussi sauvages, Vous invoquaient, eux
aussi !
    On ouvrait des « chambres ardentes » où l’on
offrait aux tenants de l’une ou l’autre religion de se convertir ou de périr brûlé.
    Ces massacreurs, ces violeurs, ces pillards, ces bourreaux
Vous priaient, Seigneur.
    Pour moi, leurs prières étaient autant de blasphèmes.
     
    Et puis le ciel d’hiver s’est dégagé.
    Au mois de mars, j’ai chevauché jusqu’au Castellaras de la
Tour. À chaque fois que les sabots de mon cheval frappaient la terre de ces
chemins forestiers qui conduisent à notre demeure, j’avais le sentiment que mon
cœur éclatait.
    J’ai aperçu enfin nos murailles, notre poterne, j’ai franchi
le pont au-dessus des fossés.
    La cour était envahie par la lumière d’un soleil flamboyant.
Un homme – oui, un homme, m’a-t-il d’abord semblé – se tenait sur le
seuil.
    Je me suis approché. Il s’est incliné, m’a dit :
« Père. »
    Et j’ai dû serrer les poings pour ne pas tomber contre lui,
sangloter en lui tenant la tête.
    Il fermait les yeux, peut-être à cause de ce soleil
aveuglant ; il avait un air à la fois tendre et apaisé, et
cependant – cela m’inquiétait déjà – teinté de tristesse.
    Nous avons peu parlé.
    C’est lui qui m’a entraîné vers notre chapelle afin que nous
priions côte à côte, agenouillés devant cette tête de christ aux yeux clos
posée sur un tissu de damas rouge, près du tabernacle.
    Quand nous sommes sortis de la chapelle, Jean – il
était d’une taille égale à la mienne –, ses yeux droit fixés dans les
miens, a murmuré :
    — Père, je veux servir Dieu au sein de Son Église.
    Seigneur, je le reconnais, j’ai éprouvé un sentiment
d’affolement, comme si ce qu’au fond de moi, sans me l’avouer, j’avais imaginé,
les dernières années de ma vie passées aux côtés de mon fils, ici, au
Castellaras de la Tour, n’était plus qu’un rêve ruiné.
    C’était comme si, Seigneur, Vous m’aviez tout à coup imposé
de sacrifier mon fils à Votre gloire.
    Jean m’a pris les mains.
    — Père, a-t-il dit, tu seras dans chacune de mes
prières. Nous ne nous quitterons jamais.
    J’ai eu honte de mon attitude, d’avoir pensé que cet élan de
mon fils vers Vous, pour Vous servir, était un sacrifice.
    Je devais au contraire Vous en remercier, Seigneur.
    Et je l’ai fait chaque jour devant Votre visage aux yeux
clos, dans notre chapelle, priant aux côtés de Jean.
    Il devait gagner Rome. Il voulait être de cet ordre des
Jésuites dont on disait que plusieurs de ses membres avaient armé – et
recherchaient encore – des régicides.
    Mais c’était sa volonté, Seigneur, et, le jour de son
départ, il m’a dit, comme s’il m’avait deviné :
    — Je ne suis que le serviteur de Dieu, père.
    Je ne veux ni ne peux Vous dissimuler aucune de mes pensées,
Seigneur. Ce service de Dieu, Votre service, auquel il se vouait, tant
d’hommes, massacreurs appartenant à toutes les religions, l’avaient perverti
que j’étais inquiet des propos de mon fils.
    Et j’ai murmuré :
    — Aime en chaque homme la part de Dieu. Si tu hais un
homme, tu hais Dieu.
     
    Quand je suis arrivé à Paris, le premier jour d’avril 1598,
les pousses des arbres, à la pointe de l’île de la Cité, dessinaient une étrave
d’un vert clair dans l’eau encore sombre du fleuve.
    Je me suis à nouveau installé à l’hôtel de Venise. Vico
Montanari, ambassadeur de la Sérénissime République auprès de Philippe II,
avait été remplacé par Leonello Terraccini. La jalousie ou l’amertume qui
m’avaient autrefois opposé à lui – je savais qu’il avait été l’amant
d’Anne de Buisson – s’étaient muées en confiance complice.
    Nous avions en commun tout ce passé mort, et, quand nous
étions assis l’un en face de l’autre, nous n’avions pas même besoin de
l’évoquer pour qu’il
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