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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe
Autoren: Max Gallo
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PROLOGUE
    Je le sais, Seigneur, la Mort est déjà en moi.
    Cette paralysie qui me tord les doigts, me fige la main et
le bras, empoigne mon épaule alors que j’écris, c’est Elle qui veut m’empêcher
de poursuivre le récit de ma vie.
    Seigneur, la laisserez-vous m’interrompre avant que j’aie pu
aller jusqu’au bout de ce que j’ai vécu, jusqu’à ce moment d’espérance, quand,
enfin, après tant de massacres, les hommes du royaume de France mettent leurs
dagues et leurs épées au fourreau, déposent leurs arquebuses et écoutent ce que
leur disait, si longtemps avant, le chancelier du roi, Michel de
L’Hospital : « Ôtons ces mots diaboliques, noms de partis, factions
et séditions, luthériens, huguenots, papistes : ne changeons plus le nom
de chrétien ! »
    Elle murmure à mon oreille :
    « Assez dit ! Qui te lira encore ? Qu’importe
ta voix dans cette vaste fosse où je vais te jeter parmi tous ces hommes que tu
as vus vivants ? Et certains d’entre eux, souviens-toi, tu les as tués de
ta main ! Qui les entend ? Chrétiens écorchés vifs par les bourreaux
du bagne d’Alger et qui hurlaient. Chrétiens – tu as été l’un d’eux –
que les fouets des gardes-chiourme cinglaient afin que les galères musulmanes
glissent plus vite vers les côtes où bientôt d’autres cris s’élevaient, ceux
des femmes violées et éventrées, des hommes dépecés ou brûlés. Et n’oublie pas
les hurlements des Maures d’Andalousie que les soldats que tu commandais
égorgeaient, tuant femmes et enfants. Et toi, quand tu t’es ouvert un chemin
parmi les janissaires de la galère la Sultane, à coups de glaive, à
coups de hache, as-tu entendu les cris de ceux dont tu tranchais bras et tête,
dont tu perforais la poitrine ?
    « Toutes ces voix sont enfouies dans le grand silence
de la fosse où je règne.
    « Pourquoi, pour qui veux-tu continuer d’écrire ?
    « Tu veux – je t’ai entendu le confier à Vico
Montanari avant qu’il ne quitte ta demeure pour regagner Venise – raconter
comment, après les massacres, un édit, celui de Nantes, a rétabli la paix entre
huguenots et papistes, et tu veux que les hommes se souviennent, en te lisant,
de ce moment d’espérance (car c’est ainsi que tu le nommes !).
    « Es-tu assez naïf, alors que tu es dans ta soixante et
douzième année, pour croire que les hommes en ont fini avec la haine, avec le
désir de tuer ?
    « Souviens-toi des propos de Montanari : “Le Bien
et le Mal sont comme des enfants monstres liés l’un à l’autre et que rien ne
peut séparer.”
    « Je te le dis en confidence, Bernard de Thorenc, les
hommes s’entr’égorgent comme s’ils étaient des pourceaux depuis qu’ils sont
hommes. Et moi, je les moissonne.
    « Alors, arrête-toi, repose ta plume. Quitte cette
pièce sombre. Adosse-toi au mur ensoleillé de ta demeure. Regarde les forêts
qui entourent le Castellaras de la Tour. Vois l’horizon se teinter de rouge.
C’est la couleur du sang.
    « Il imprègne déjà tout ce que tu as écrit. Tu as suivi
sa trace rouge d’Alger à Malte, de Grenade à Lépante. À quoi bon
poursuivre ? Te faut-il encore dire que le sang a coulé non plus dans le
combat contre les infidèles, mais dans la guerre entre chrétiens ? Et s’il
te semblait aussi rouge, c’est qu’il était celui d’enfants et de femmes étripés
comme l’avaient été – comme le sont encore – les chrétiens tombés aux
mains des musulmans.
    « Mais peut-être, en parcourant à nouveau ce chemin,
veux-tu montrer qu’il conduit à la paix ?
    « Laisse-moi ricaner. Et je t’ai déjà dit pourquoi.
    « Alors, garde tes dernières forces pour contempler le
ciel, jouir de la chaleur des pierres que le soleil dore en hiver.
    « Écoute ton cœur. Il frappe dans ta poitrine. Parfois,
il t’étouffe. Tu sais qu’il résonne comme le bout de la hampe de ma faux quand
je marche et frappe le sol avec elle.
    « Je suis si proche de toi, en toi, déjà, Bernard de
Thorenc !
    « Vis tes derniers jours en paix, dans la contemplation
du monde, au lieu de retourner les cadavres qui jalonnent ta vie, et de tenter,
avec ce qu’il reste d’eux dans ta mémoire, de te rappeler ce qu’ils furent, les
sentiments de haine ou d’amour qu’ils t’inspirèrent.
    « Regarde l’horizon, vieil homme, et chauffe tes os au
soleil d’hiver. »
     
    Comment faire taire cette voix tentatrice qui réduit toute
vie à la
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