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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française
Autoren: Eric Zemmour
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l’Angleterre, qu’on appellerait du mot charmant et enjôleur d’« équilibre européen ». Sa place, toute sa place, mais rien que sa place : plus la première. L’« équilibre européen » signifiait en effet que la France renonçait – au nom de la paix – à son rêve historique : remplacer l’Empire romain ; et que l’Europe continentale acceptait sa marginalisation historique, politique et économique dans une mondialisation maritime, marchande et financière de grande ampleur édifiée par le Royaume-Uni. C’est l’époque où l’abbé de Saint-Pierre imaginait ce que pourrait être une paix perpétuelle, par un congrès permanent de diplomates qui préfigurait l’ONU. Ce n’était pas un hasard. Mondialisation marchande et « sécurité collective » vont de pair. Réalités économiques du capitalisme naissant et poudre aux yeux pacifiste, tout était déjà inscrit. La paix reposait en vérité sur l’accord entre Londres et Versailles. La sujétion de Versailles à Londres.
    Il n’est pas sûr que beaucoup de Français aient compris le sens réel du traité d’Utrecht – même Louis XIV. Le vieux roi, autrefois si belliqueux, donnait une patine de magnificence et même de morgue à ce renoncement historique d’envergure. Il inaugurait ainsi une tradition française des défaites glorieuses. Il crut sans doute faire la part des choses, dans l’état d’épuisement où se trouvait son royaume. Après tout, il avait sauvé le trône de son petit-fils en Espagne, même s’il y avait toujours des Pyrénées ; il ne serait pas Charles Quint, mais il y aurait tout de même deux royaumes bourbons comme il y avait deux royaumes habsbourg. Deux Empires romains. Séparations qui sentent déjà le déclin. Dans son ultime vision stratégique, il recommanda la réconciliation avec l’ennemi d’hier, qui fut réalisée par Louis XV en 1756 : il comprenait qu’il n’avait plus les moyens de dominer seul le continent européen. Triste coucher pour le Roi-Soleil.
    Il avait connu – un siècle avant Napoléon – la désolation du cavalier dont les rênes ne répondent plus, quand le cheval, fourbu et las, n’en peut plus et s’effondre sous son cavalier.
    La fin du règne de Louis XIV avait été travaillée par un mouvement pacifiste qu’on pourrait comparer à celui qui suivra la guerre de 1914-1918. Trop de morts et de souffrances. En 1712, acculé par les forces européennes coalisées qui ont pris Lille et menacent Paris, Louis XIV, comme un futur Danton, a sauvé son royaume par l’appel au peuple ; la victoire de Villars à Denain est sa « bataille de la Marne » ; mais les élites aristocratiques, dénonçant les misères inouïes du peuple et les révoltes paysannes, hurlent à la paix, comme de vulgaires anciens combattants de la der des der. Ce sont eux qui se battent, et meurent, ou reviennent éclopés, transformant Versailles en un hôpital de gueules et corps cassés. Pendant qu’ils meurent glorieusement, la noblesse de robe, ces anciens bourgeois tant méprisés, s’enrichit et les supplante à la cour. Inspirés par la pensée subtile de Fénelon, protégés par la bigote Maintenon, les pacifistes ont investi les appartements et la pensée du duc de Bourgogne, qui est dans la main de sa femme, la piquante princesse de Savoie, que Michelet soupçonne d’être l’agent de liaison de son père, le fourbe bien connu de l’Europe entière pour ne jamais finir un conflit dans le camp où il l’a commencé, prêt à tout pour sauver ses États piémontais, guignés depuis toujours par le roi français.
    C’était une vieille histoire sans cesse recommencée.
    Sous François I er , comme sous Louis XIII, une opposition avait rassemblé autour de la reine mère (de Louise de Savoie à Catherine de Médicis, jusqu’à Anne d’Autriche) les « grands » et les dévots pour exiger un renversement d’alliance en faveur de l’Espagne. Au nom de l’unité du catholicisme. Et de la souffrance du peuple qui subit disettes, ravages des troupes de lansquenets et hausse de la pression fiscale. La foi au-dessus de la raison d’État ; la religion au-dessus de la politique ; les principes spirituels (et les préoccupations fiscales) au-dessus de l’intérêt national.
    Les périodes de régence y furent propices. Michelet soupçonnait déjà l’Espagne d’avoir commandité l’assassinat d’Henri IV, avec la complicité des dévots, jusqu’à la reine. Il voyait juste. Près
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