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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo
Autoren: Gary Jennings
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Je vais t’expliquer comment
on le prépare, et peut-être me feras-tu le plaisir de m’en concocter
quelques-uns ; comme cela, la Dona, les Domine et moi ferons
semblant de célébrer une fête han. Tu prends des noisettes, des dattes et de la
cannelle, ensuite...
    Presque instantanément je fus sorti de la cuisine et
recherchai Donata dans toute la maison. Je la trouvai dans son boudoir qui
brodait à l’aiguille et hurlai :
    — Je viens de me faire renvoyer de ma cuisine par
ma propre cuisinière !
    Donata, sans lever la tête, articula sur un léger ton
de reproche :
    — Ne me dis pas que tu es encore allé ennuyer
Nata ?
    — L’ennuyer ? Elle est bien bonne... Elle
est employée pour nous servir ou pas ? Cette femme a eu l’effronterie de
se plaindre qu’elle en avait plus qu’assez d’entendre parler des aliments
somptueux que j’avais l’habitude d’apprécier à l’étranger et qu’elle ne voulait
plus en entendre un mot ! Che braga ! A-t-on jamais vu un
domestique s’adresser de la sorte à son maître ?
    Donata gloussa, compatissante. J’arpentai la pièce un
moment, cognant avec mauvaise humeur sur ce qui se trouvait sur mon passage.
Puis je résumai, tragique :
    — Nos domestiques, la dogaresse et jusqu’à mes
camarades sur le Rialto, plus personne désormais ne semble décidé à
apprendre quoi que ce soit. Ils ne pensent qu’à stagner, et surtout qu’on ne
vienne pas faire mine de les tirer de leur état végétatif. Rends-toi compte,
Donata, je veux bien ne pas me soucier des gens du dehors, mais mes propres
filles  ! Mes propres filles poussent de longs soupirs ou lèvent les
yeux au ciel et tapotent des doigts en regardant par la fenêtre dès que je
commence à leur raconter quelque chose. Est-ce que par hasard tu ne serais pas
en train d’encourager leur manque de respect vis-à-vis du patriarche de la
famille ? Ce n’est pas bien, si c’est le cas. Je commence à me sentir
comme ce prophète dont Jésus parlait... celui que tout le monde honorait, sauf dans son propre pays et dans sa propre maison.
    Donata resta assise en souriant pendant ma tirade,
piquant imperturbablement son aiguille, et quand je fus hors d’haleine, elle
plaça :
    — Les filles sont jeunes. Les jeunes gens nous
voient souvent comme de vieilles barbes ennuyeuses.
    Je rôdai encore un peu dans la pièce, jusqu’à ce que
mon essoufflement se soit calmé. Puis je repris :
    — Vieux, oui, comme de pauvres vieilles badernes,
en somme. Au moins je peux dire que je suis devenu vieux de façon ordinaire,
par la seule accumulation des années. Ce qui n’est pas le cas pour toi, Donata.
    — Tout le monde devient vieux, fit-elle
placidement.
    — Tu as exactement l’âge que j’avais quand je me
suis marié, Donata. J’étais vieux, à cette époque ?
    — Tu étais dans la fleur de l’âge. Vigoureux et
bel homme. Mais les femmes vieillissent différemment des hommes.
    — Seulement si elles le veulent bien. Tu n’avais
qu’une envie, t’éloigner de l’âge où l’on porte des enfants. Franchement,
c’était bien la peine ! Je t’ai dit il y a bien longtemps que je
connaissais des moyens simples d’empêcher...
    — Des choses qu’un bon chrétien ne devrait même
pas mentionner et qu’une bonne chrétienne ne devrait jamais entendre. Ce n’est
pas la peine que tu m’en parles, je n’ai pas changé d’avis là-dessus.
    — Peut-être. Mais si tu m’avais écouté à
l’époque, tu ne serais pas devenue, comme tu l’es aujourd’hui, un éventail
d’automne.
    — Un quoi ? interrogea-t-elle, levant les
yeux vers moi pour la première fois.
    — Un terme très parlant que les Han emploient. Un
éventail d’automne est une femme qui a perdu toute séduction et dont le charme
a disparu avec les ans. Vois-tu, à l’automne, le temps est frais, et il n’y a
pas nécessité de s’éventer. Cela devient un objet sans utilité ni
propos, sans raison d’exister. Comme une femme qui a cessé d’être féminine,
comme tu l’as fait, pour éviter d’avoir d’autres enfants...
    — Tout ce temps-là..., interrompit-elle d’une
voix douce. Pendant tout ce temps tu as pensé que c’était cela, la
raison ?
    Je m’arrêtai net, la bouche encore ouverte. Elle posa
sa tapisserie sur son édredon de soie noire, y posa ses mains jaunies et me
fixa de ses yeux ternes qui avaient brillé un jour d’un bleu d’azur :
    — J’ai cessé d’être une femme
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