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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo
Autoren: Gary Jennings
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regret, si cela arrivait.
    Une compagnie allemande a récemment ouvert à Venise
une branche manufacturière qui fabrique une sorte de miroir perfectionné, et
ils vendent tout ce qu’ils produisent. Aucun foyer digne de ce nom n’y a
échappé, tout le monde en a donc au moins un chez soi. Le nôtre ne fait pas
exception. Si j’admire l’image nette qu’il renvoie, la luminosité et le rendu
des couleurs, je considère l’objet comme une bénédiction assez mitigée. Je
préférerais pouvoir attribuer aux défauts du miroir ceux que je distingue en me
regardant, plutôt que d’avoir à me dire qu’ils existent bel et bien. Cette
barbe à présent grise et ces cheveux de plus en plus fins, ces rides et ces
poches qui enflent sous les yeux, et ceux-ci désormais devenus troubles,
larmoyants, comme affaiblis et ternes, qui se plissent pour essayer de mieux
voir...
    — Plus besoin de plisser les yeux, ami Marco, me
dit le docteur Abano, qui était resté notre médecin durant toutes ces années et
avait sensiblement le même âge que moi. Ces ingénieux Allemands viennent de
créer un nouveau verre fabuleux. Ils appellent cet appareil des
« lunettes », occhiale, si tu préfères. Ces deux morceaux de
verre font vraiment pour la vue des merveilles. Tiens simplement la chose
devant ton visage et regarde cette page d’écriture. N’est-elle pas plus facile
à lire ? Tiens, maintenant, observe-toi dans le miroir.
    Je le fis et murmurai :
    — Un jour, par un rude hiver, dans un lieu appelé
Urumqi, j’ai vu des hommes qui ressemblaient à des sauvages sortir du désert
glacé de Gobi. Ils m’ont paralysé de terreur parce qu’ils portaient tous de
grands yeux de cuivre luisants. Quand ils se sont trouvés plus près,
j’ai vu qu’il s’agissait d’un instrument semblable à celui-ci. Une sorte de
masque, un domino fait d’un cuivre très fin, percé de nombreux trous
d’aiguille. On ne voyait pas très distinctement au travers, mais ils
affirmaient que cela empêchait de devenir aveugle dans l’éblouissement de la
neige.
    — Oui, oui, coupa impatiemment Abano. Tu m’as
raconté plus d’une fois l’histoire des hommes aux yeux de cuivre. Mais que
penses-tu des occhiale  ? Ne te permettent-elles pas de voir
mieux ?
    — Oui, fis-je avec un enthousiasme mesuré, car ce
que je voyais dans le miroir, c’était moi-même. Je viens de repérer quelque
chose que je n’avais jamais remarqué. Tu es médecin, n’est-ce pas ?
Existe-t-il une raison médicale qui explique que je perde les cheveux qui se
trouvent au-dessus de ma tête, mais que simultanément il me pousse des poils
sur la pointe du nez ?
    Toujours aussi impatiemment, il répondit :
    — Le terme médical abstrus qui désigne ce
phénomène est le « grand âge ». Bon, et ces occhiale, qu’en
penses-tu ? Je peux t’en commander sur mesure. Simples ou ornementées,
faites pour être tenues à la main ou attachées autour de la tête, en bois
incrusté de pierres fines ou en cuir travaillé...
    — Merci, vieil ami, mais je ne crois pas, dis-je
en rabaissant le miroir et en lui rendant l’appareil. J’en ai vu beaucoup dans
ma vie. Ce pourrait être à présent une grâce que de ne pas voir de plus près
tous les signes du délabrement.
    ***
    Aujourd’hui, je viens de me rendre compte que nous
étions le vingtième jour du mois de septembre. Mon anniversaire. Je ne suis
plus dans ma soixante-cinquième année. J’ai aujourd’hui franchi la ligne
invisible mais trop distincte qui me sépare des soixante-six ans. Cette
constatation m’a un moment affaissé, mais je me suis rapidement redressé, en
ignorant ce bref élancement dans mon dos, et j’ai carré les épaules. Bien
décidé à ne pas me vautrer dans un larmoyant apitoiement sur moi-même et
désireux de me remonter le moral, j’ai marché à pas tranquilles dans la cuisine
et, penché sur le billot de bois sur lequel on découpe la viande, tandis que
notre cuisinière se démenait à sa tâche, j’ai dit sur le ton de la
conversation :
    — Nastàsia, je vais te raconter une histoire
instructive qui va t’édifier. À peu près à cette époque, chaque année, dans les
terres de Kithai et de Manzi, les Han célèbrent ce qu’ils appellent la fête du
Gâteau de la Lune. Ce n’est qu’une fête de famille chaleureuse et un jour
férié, rien de grandiose. Les familles se rassemblent, heureuses de se
retrouver, et tous savourent ce gâteau de la Lune.
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