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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil
Autoren: Jean-Michel Riou
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sur la cheminée, je partais en aventure. Dans les flammes, il me semblait enfin apercevoir le Calice du Christ, mais un coup de vent L’ôtait à la convoitise d’une simple mortelle. Je bougeais dans mon lit. Échouer si près du but...
    — Dors-tu, Hélène ?
    — Non, père. Continuez, je vous en supplie...
    Je voyais à présent les silhouettes légendaires de Lancelot et de Guenièvre. Leurs corps se mêlaient aux ombres et aux couleurs de l’âtre et, tel l’alchimiste, je transformais le plomb en or. L’émotion m’envahissait. Ma vie de femme m’offrirait-elle autant d’exploits que dans mes rêves ?
    — Dors, ma fille Hélène. Dors. Demain, tu as tant à faire et tant à découvrir.

    Car le matin, après ma folle échappée à cheval, je devais consacrer l’essentiel de mon temps à l’éducation voulue par mon père. Lire, écrire, savoir compter. Et je ne parle pas des leçons de morale. Je quittais mon cheval : une dernière caresse, un dernier baiser entre ses oreilles... Il me fallait affronter les réalités temporelles.
    Au manoir, j’ignorais les gesticulations de notre Berthe, une cuisinière aussi bonne que son pain et plus ronde que ses soupières. Alors qu’elle détaillait les effets de mes bottes crottées sur le sol, je fuyais, frôlant Amédée, le prude sacristain de notre chapelle, un feutier 4 de son ancien état, qui, surpris par mon entrée, et victime de ses émotions, se signait car il venait de faire tomber les cierges et le missel dont ses bras étaient chargés.
    Je toisais d’un air moqueur le marchand de compas, de globes, d’astrolabes, patientant depuis l’aube dans l’espoir de vendre à mon père sa création d’ustensiles savants. Mais je baissais les yeux à la vue de mon précepteur, Thomas Blois, un pensionnaire détaché du séminaire de Saumur, toujours habillé de sombre, et dont la conversation se limitait à lire, aperto libro 5 , les poèmes d’Homère ou à versifier en grec.
    Le visage glabre, les lèvres grises et constamment pincées de monsieur Blois donnaient la mesure d’une vie monastique. La sienne se limitait à la fréquentation assidue de la bibliothèque du manoir de Saint Albert. Son seul exercice consistait à lever de maigres bras vers les étagères où s’entassaient des planches historiques et scientifiques ou encore des manuscrits reliés et garnis, pour certains, d’orfèvrerie en vermeil. Ignorant les richesses dont Saint Albert était le gardien, je me contentais, moi, en entrant dans son sanctuaire, de souffler de manière dédaigneuse sur la poussière qui recouvrait ces belles reliures.
    — On manque d’air, ici ! Il faudrait procéder à un grand nettoyage. Pourquoi ne pas ouvrir les portes ? dis-je même un jour où je me montrai plus outrecuidante que d’ordinaire.
    Et sans attendre l’autorisation de monsieur Blois, je mis ma menace à exécution. L’effet fut redoutable et imprévu. Le courant d’air que je n’avais pas envisagé aussi vif balaya les feuilles que mon précepteur avait patiemment étalées sur la longue table en bois qui nous servait d’étude. Il courut après son magot, s’essouffla, maudit entre ses dents, mais très chrétiennement, son élève.
    — Un esprit sain, certes. Mais le corps doit aller de même, claironnai-je en persiflant. Vous semblez à la peine, monsieur Blois. Pourquoi ne pas continuer l’instruction en vous mesurant à la nature ? Une marche vous ferait le plus grand bien. In corpore sano... N’est-ce pas ainsi que vous parlez ?
    Retrouvant enfin son calme, Blois me toisa. Il m’estima , plus exactement.
    — Vous me voyez en ennemi, grinça-t-il. Tant mieux ! Mon travail est aussi de forger votre caractère. En sortir le meilleur sans vous rendre docile est une tâche difficile, mais je l’ai acceptée. Plus vous montrez votre force, plus je m’en réjouis. Plus vous apprenez à vous défendre, plus je réussis. Je vois dans votre suffisance un esprit qui s’affûte. Qu’en ferez-vous ? Je ne serai pas là pour juger. Aujourd’hui, je mène la partie et je décide. Qu’ai-je choisi ? Trois heures de plus dans ce cabinet que vous haïssez tant. Et en ma compagnie. Nous rattraperons ainsi le temps perdu ces derniers jours.
    En rentrant de mes promenades à cheval, je voyais qu’il pensait chaque fois à la même punition. Ces yeux noirs et froids estimaient l’avance qu’il devait prendre pour combler mes écarts à venir. Je haussais les épaules.
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