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L'Insoumise du Roi-Soleil

L'Insoumise du Roi-Soleil

Titel: L'Insoumise du Roi-Soleil
Autoren: Jean-Michel Riou
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berceau fécond de la Renaissance, où l’on racontait que Dieu avait créé ces lieux à l’image de l’Eden.

    En ce temps-là, Dieu effrayait aussi – parfois – ses brebis. Quelques-unes se signaient en entendant son nom. Et il se trouvait toujours un prêtre ou un moine pour prédire l’enfer aux ouailles égarées. Pierre de Montbellay ne jouait pas avec les sentiments de Dieu. Le Tout-Puissant avait trop à faire, me disait-il, à secourir les pauvres et les indigents. Sa vision de Dieu était celle de la sérénité et de l’amour et il avait de bonnes raisons de défendre une foi apaisée et adoucie par le pardon. Car ce comte-ci n’était pas qu’humaniste.
    Il vénérait l’existence, ses excès, et les femmes plus encore que le reste. J’étais sa fille, l’enfant de l’amour, et chaque mot, chaque geste témoignait chez lui de cette tendre vocation pour aimer et faire le bien aux autres. Mais il avait aussi le cœur généreux, trop grand pour donner entièrement en une fois et à un seul être. Cet homme avait plusieurs vies et les estimait toutes passionnément. Personne ne pouvait, mieux que moi, le juger et le pardonner. Il avait idolâtré ma mère jusqu’à ce que la mort les sépare. Il avait perdu son adorée alors qu’elle mettait au monde le fils dont il attendait quiétude et félicité et qui ne vécut que le temps d’un baiser. Fallait-il que le chagrin rende mon père misanthrope, méchant, avare de ses sentiments ? Pour apprécier la vie, pour partager ce don extraordinaire, il faut la prendre à bras-le-corps. Pierre de Montbellay s’intéressait à ceux des femmes dont il voulait le bonheur en échange du leur, parfois jusqu’à s’y noyer.
    Ainsi le maître de Saint Albert était-il à la fois humaniste et libertin. Ce double credo n’ôtait rien à la vocation de sa vie, consacrée à l’amour du prochain, premier commandement de Dieu et dont le meilleur usage était, selon lui, d’embellir le présent de ceux qui l’entouraient.

    Au plus loin que remontent mes souvenirs, je ne vois que des scènes de joie et de plaisir. Si je ferme les yeux, j’entends le galop sourd de mon cheval se jouant du sous-bois, sautant de bon cœur le cours d’un ruisseau, jaillissant dans la plaine où les bricoleurs entassaient le bois fraîchement coupé, où l’arpenteur toisait les prés, où le braconnier, la musarde pleine de beaux lièvres et d’écrevisses, brandissait son trophée et me saluait sans craindre de se faire tancer. Derrière moi, mon père, également à cheval, me suppliait de ralentir la cadence.
    — Tu m’assassines, Hélène ! J’ai le dos brisé...
    Alors, j’éclatais de rire et, calant mes bottes dans les étriers, jouant de mes éperons, j’encourageais ma monture. Les rênes devenaient molles, c’était le signal de la liberté.
    Poussecul 3 , un bel alezan plein de rage, plantait ses dents dans le mors et gonflait ses poumons d’un air neuf. Il irait, il en avait envie, hennissant et soufflant jusqu’au bout de ses forces, porté par le parfum du foin qui l’attendait. Comme chaque matin de ces jours de printemps, nous triompherions de tout. Même de mon père, que j’apercevais en me retournant. Il avait fait une halte pour se reposer et en discutant avec Barnabé Maisonnée, le meunier de notre moulin, il me surveillait de loin. Je le saluais d’un grand mouvement de bras. Il me répondait. Alors, je faisais face au vent. En route, Poussecul ! Et nous fendions l’herbe haute, gorgée de rosée, jusqu’aux écuries du manoir de Saint Albert.
    En arrivant, mon cheval et moi, nous étions rompus. Je flattais son encolure trempée de sueur. Je frottais sa robe avec la paille. Il tournait la tête et, la bouche remplie d’avoine, il venait doucement se reposer sur mon épaule.

    Qu’il était dur de revenir au présent ! L’instant d’avant, je chevauchais aux côtés de Lancelot du Lac et de Perceval le Gallois dont mon père, le soir dans ma chambre, me lisait à haute voix les exploits rapportés par Chrétien de Troyes.
    Dans ces moments-là, la tête alourdie de fatigue, l’imagination m’emportait. Je brillais aux côtés des chevaliers de la Table ronde dans de grands tournois. J’affrontais de redoutables Sarrasins, je partageais la quête de mes héros. Lancelot me préférait à Guenièvre, et c’était moi qui montrais le chemin du Graal à Perceval.
    Bercée par la nuit et les chuchotements du conteur, le regard fixé
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