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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan
Autoren: MAREK HALTER
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avaient façonné un même masque.
    Comment ne pas être impressionnée ? N’étaient-ils pas les vrais personnages de la Révolution ? Non, pas des personnages. Les vrais héros de chair et d’os. Alors qu’elle-même n’était qu’une « sans-parti » !
    Elle n’avait pas vingt ans et n’était à Moscou que depuis deux ans. Elle ne vivait et ne rêvait que de théâtre. Si la politique n’avait pas de lien avec le théâtre, elle l’ennuyait.Qu’est-ce qu’elle connaissait de la Révolution ? Ce que la plupart en savaient, c’est-à-dire pas grand-chose. Des mots, des tirades, des rôles dans des scènes autorisées un jour, interdites le lendemain. Et quand elle sortait du théâtre, « la politique » devenait d’interminables et bavardes réunions. Elle avait ça en horreur. Ce n’était que disputes ou insultes, des types qui parlaient sans fin pour ne rien dire. Sans compter que la politique, c’était aussi la Guépéou et, désormais, la famine.
    Et voilà qu’elle se trouvait ici, une souris dans l’enclos des grands fauves de la politique !
    Qu’est-ce qu’on attendait d’elle ? Où était le piège ?
    Ces pensées et la stupeur qui la terrassaient durent se lire sur ses traits. Le rire d’Egorova résonna à son côté. Les autres l’imitèrent. Les hommes plus que les femmes, en vérité. L’un d’eux, tunique noire et hautes bottes, les dents aussi blanches que la neige, s’avança. Comme s’il avait véritablement lu dans son esprit, il déclara :
    â€” Très chère Marina Andreïeva, vous allez être la perle de notre soirée !
    Il lui saisit la main et s’adressa aux autres.
    â€” Cette jeune camarade joue le rôle de notre regrettée Larissa Reissner dans la pièce de Vichnevski, La Tragédie optimiste . Une Larissa dans la fleur de l’âge, bien sûr. J’ai vu la pièce, j’ai dit à Galia Egorova : « Le camarade Staline ne peut pas ignorer ce bijou ! »… Et la voici !
    C’était l’« Oncle Abel ». Un regard d’Egorova le confirma. Il vantait sa trouvaille tel un bateleur de marché. L’effet fut instantané. Les femmes tournèrent le dos avec un bel ensemble, les hommes s’approchèrent. Abel Enoukidze acheva les présentations. Les noms illustres dansèrent aux oreilles de Marina : camarades Lazare Kaganovitch, Anastas Mikoïan, Semion Boudionny, Gregori « Sergo » Ordjonikidze, Nikolaï Boukharine…
    Marina saluait d’une révérence, puis d’une autre, balbutiant des « très honoré, camarade… ». Elle oubliait les nomsaussitôt que prononcés, ou les confondait. Enfin, comme s’il l’extirpait des tourbillons d’un fleuve, le vieux Kalinine la tira de la poigne de l’Oncle Abel. L’œil éclatant, les paumes douces et chaudes, il lui pressa les doigts à son tour.
    â€” Camarade Marina Andreïeva, savez-vous que j’ai bien connu votre héroïne ? Cette Larissa Reissner ? Oh, je l’ai connue ! Je l’ai parfaitement connue…
    â€” Il n’y a pas que toi, Mikhaïl. Avec tout le respect qu’on te doit, nous l’avons tous connue, ici, la belle Larissa ! se moqua Boudionny.
    Sanglé dans l’uniforme de commandant des cosaques, il éclata de rire, la voix rauque, forte, les lèvres roses sous sa moustache de cavalier.
    â€” Semion a raison, lança Vorochilov.
    Jovial, encore mince dans son uniforme de maréchal, il trancha le cercle qui se refermait autour de Marina.
    â€” Et je crois bien avoir mieux connu Larissa que toi, camarade président. En 21, j’étais avec elle et son Raskolnikov de mari en Afghanistan. Une sacrée aventure. Votre pièce en parle-t-elle, camarade Marina Andreïeva ?
    â€” Ne fais pas l’intéressant auprès de notre camarade actrice, Kliment ! grinça le vieux Kalinine avant que Marina puisse répondre. Ce n’est pas toi qui as le mieux connu Larissa…
    Il repoussa sans ménagement Boudionny et le héros Vorochilov.
    â€” Polina… Polina Molotova, approche-toi, s’il te plaît…
    Une
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