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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan
Autoren: MAREK HALTER
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devant lui avec son maillet et s’inclina vers le micro.
    â€” Répondez par oui ou par non, Miss Apron. Êtes-vous accompagnée d’un avocat ?
    â€” Je ne vois pas d’avocat avec moi.
    Elle eut un petit geste pour désigner les sièges vides à côté d’elle. Je ne fus pas le seul à sourire. Elle avait un accent. Pas très prononcé, mais quand même. Et qui ne venait pas du lac Michigan. Ce genre d’accent que traînaient les émigrés allemands ou polonais pendant une ou deux générations.
    Contrairement à l’habitude, la salle n’était pas pleine à craquer. Outre les flics, postés devant les portes et sur les côtés de l’estrade, les sénateurs et représentants membres de la Commission, les sténos et les deux caméramans officiels du Congrès, nous n’étions que quatre chroniqueurs. Wood avait ordonné que l’audience se déroule « portes closes ». Une procédure qui permettait d’exclure le public et de choisir les journalistes.
    D’ordinaire, l’HUAC aimait faire du grand spectacle. Mais parfois les « portes closes » s’avéraient un bon moyen d’attirer l’attention de la presse sur un témoin inconnu. Un journaliste normalement constitué déteste qu’on lui fermela porte au nez. Et moi, j’étais parmi les heureux qu’on avait laissés entrer.
    Pourquoi ?
    Une bonne question encore sans réponse. Je n’étais pas spécialement bien en cour avec la Commission. Je n’avais pas pour habitude de hurler aux loups avec la meute. En deux ou trois occasions, j’avais écrit sans ambiguïté que les méthodes de l’HUAC n’étaient pas celles qu’on pouvait attendre d’un pays comme le nôtre. Pourtant, la veille, j’avais reçu le petit carton portant mon nom qui me rendait persona grata pour cette 147 e audience. Et maintenant que j’étais là, bien calé derrière la table de presse, à observer cette superbe inconnue, l’Armée rouge aurait eu du mal à me déloger.
    Wood fit glisser des feuillets devant lui. Ce n’était pas un bon acteur. Quand il cherchait à se donner une expression sévère, cela avait surtout pour effet de gonfler son double menton.
    â€” Miss Apron, il est de mon devoir de vous rappeler certaines règles. Sachez que si vous refusez de répondre aux questions qui vous seront posées, cela vous conduira en prison pour outrage au Congrès. Vous devez aussi avoir conscience que les droits dont vous disposerez devant la Commission seront uniquement les droits que vous accorde cette commission. Me suis-je fait comprendre, Miss Apron ?
    â€” Je crois.
    â€” Répondez par oui ou par non.
    â€” Oui.
    â€” Levez-vous, s’il vous plaît… Levez la main droite et jurez de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
    â€” Je le jure.
    â€” Non. Vous devez répéter après moi : Je jure de dire la vérité …
    â€” Je jure de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
    â€” Vous pouvez vous asseoir… Monsieur Cohn, le témoin est à vous.
    C’était parti. Wood se cala dans son fauteuil et le procureur Cohn reposa son stylo en or sur les dossiers entassés devant lui avant de se redresser.
    Un drôle de lascar, ce Roy Cohn. Vingt-trois ans, une tête de bambin ou d’ange boudeur. Toujours vêtu avec soin, affectionnant les costumes trois-pièces de chez Logan Belroes, avec un faible pour les cravates de soie grise. Une fossette au menton et sa bouche gourmande le rendaient capable d’un mignon sourire. Avec sa raie bien nette, ses cheveux lustrés à la gomina manière Clark Gable, il aurait été plus à sa place dans un cosy dancing que dans un rôle de procureur. Pourtant, c’était ce qu’il était. Et s’il avait une tête d’ange, c’était celle d’un ange noir.
    Tout jeune qu’il soit, il avait déjà eu le temps de se tailler une réputation. En deux ans et demi, il avait conduit une centaine d’enquêtes d’activités « anti-américaines ». On comptait sur les doigts d’une main ceux qui s’en étaient tirés blanchis. On pouvait se demander
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