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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan
Autoren: MAREK HALTER
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haut-parleurs :
    â€” Vous le jurez sur quoi ? La Bible ou le portrait de Staline ?
    Il y eut des rires. Celui de Nixon reconnaissable entre tous.
    â€” Vous avez menti dès vos premiers mots devant cette commission, Miss. Il ne suffit plus de dire « Je le jure » pour qu’on vous croie.
    Wood fit signe à Cohn de reprendre.
    â€” Où avez-vous connu Michael Apron ?
    Elle ne répondit pas tout de suite. L’ombre d’un sourire glissa sur ses lèvres. Peut-être à cause du souvenir qu’éveillait la question de Cohn ou parce qu’elle venait de comprendre le truc de la Commission : bombarder les témoins de questions auxquelles ils devaient répondre par oui ou par non, quatre ou cinq mots au plus. Rien qui ait jamais permis à quiconque de s’expliquer.
    Cohn ouvrit la bouche pour reposer sa question, mais elle le devança.
    â€” À Birobidjan.
    â€”  Birobidjano  ?
    â€” Il y est arrivé comme médecin…
    Wood aboya dans le micro :
    â€” Répondez aux questions. Qu’est-ce que c’est que ça, Birobidjan ?
    Elle laissa filer une seconde en soutenant le regard de Wood, chercha en vain une mèche rebelle dans son chignon.
    â€” Un État juif, près de Vladivostok. Un oblast : une région autonome.
    â€” Un État juif en URSS ?
    â€” Oui. Il existe depuis longtemps.
    â€” Vous êtes juive, Miss Gousseïev ? demanda Cohn.
    â€” Presque.
    Elle avait murmuré, mais toute la salle l’entendit.
    â€” On n’est pas « presque » juive, Miss Gousseïev ! On l’est ou on ne l’est pas. Croyez-moi, j’en sais quelque chose.
    Cohn se mit à rire, et nous avec.
    Wood fit tomber son maillet.
    â€” Êtes-vous juive, oui ou non ?
    â€” Je suis devenue juive au Birobidjan, grâce à Staline.
    Pour Cohn, elle ajouta en yiddish :
    â€” Peut-être plus juive que vous, monsieur.
    Je devais être le seul dans cette salle à comprendre quelques mots de yiddish. Ça rigolait fort autour de moi, et je commençais à ne pas aimer ces rires.
    La liste des témoins entendus par l’HUAC depuis dix ans contenait une majorité de noms juifs. Parmi les membres de la Commission, certains, comme McCarthy et Nixon, étaient des antisémites notoires. Il était cependant difficile à l’HUAC d’afficher ouvertement sa haine des Juifs. Le jeune Cohn lui servait de masque. Il était parfait dans ce rôle. Né à Brooklyn, mais acharné à s’en prendre aux Juifs. Pourquoi ? Mystère.
    Je commençais à comprendre ce que je faisais dans cette salle. Il leur fallait aussi un journaliste juif en plus du procureur. Un type dans mon genre, avec un G. comme Gershom dans son prénom. Même si je signais toujours Allen G. Kœnigsman. Un type qui puisse bientôt proclamer que cette femme était fausse de bout en bout. Une fausse Américaine, mais une vraie communiste, une vraie espionne, et, pour couronner le tout, une juive bidon. Car pour la clique de l’HUAC, il n’y avait pas de doute : les communistes étaient juifs, et les Juifs étaient communistes. L’un n’allait pas sans l’autre. Impossible d’y échapper. Et cette femme allait incarner la preuve dont ils rêvaient !
    D’ailleurs, c’est exactement ce que le sénateur du Wisconsin, McCarthy en personne, se mit à brailler dans le micro :
    â€” Miss… Gouss… ev, quel que soit votre nom, vous n’avez pas l’air de considérer la gravité de votre situation. Vousvous êtes présentée devant cette commission sous un faux nom et avec un faux passeport, que vous reconnaissez appartenir à un agent du gouvernement des États-Unis assassiné, qui vous a permis d’entrer illégalement dans notre pays. Vous vous faites passer pour juive, mais vous n’êtes pas juive. Vous êtes russe, mais vous n’êtes pas communiste… Vous ne pensez pas qu’il serait temps de dire la vérité ?
    â€” La vérité ?…
    â€” … Que vous espionnez ce pays, les États-Unis, au profit de l’URSS de Staline.
    Elle osa un petit rire. Sur la table, ses mains s’étaient ouvertes. Le mouchoir blanc avait disparu sans que je m’en rende compte.
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