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L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb
Autoren: Jean-François Parot
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feuille,
une plume gisait près d'un encrier. La position du fauteuil
derrière le meuble montrait que celui qui avait écrit
ce message s'était ensuite levé, l'avait repoussé
et s'était dirigé à droite vers le mur, sans
doute pour contourner le bureau par le devant et se retrouver là
où reposait maintenant le corps.

    Il considéra
à nouveau celui-ci, les mains notamment, et essaya sans succès
de lui fermer les yeux. Furetant ensuite tout autour de la pièce,
il remarqua, à gauche de la porte d'entrée, une immense
armoire aux sculptures contournées qui montait jusqu'au
plafond. Elle était entrouverte. Il poussa l'un des battants
et y plongea la tête ; c'était une grotte ombreuse qui
lui rappela les lits clos de son enfance bretonne. Une forte odeur de
cuir et de terre le saisit. Dans la partie inférieure
s'alignait une collection de bottes dont certaines auraient eu grand
besoin d'un coup de brosse. Il repoussa la porte cirée du
meuble, puis dessina un plan de l'appartement sur une feuille de son
calepin.

    Poursuivant son
examen, Nicolas repéra une section dans la moulure de la
boiserie. A gauche de l'alcôve, une porte ouvrait sur un
cabinet de toilette lambrissé de sapin à mi-hauteur,
avec sa garde-robe mitoyenne. La pièce était carrelée
de pierre de liais 11 et de marbre noir. Les murs étaient tendus de papier peint
représentant des oiseaux exotiques. Elle était éclairée
par un œil-de-bœuf dont il vérifia la fermeture.
Il resta un long moment pensif devant la table de toilette et sa
cuvette de fine faïence, admirant le nécessaire avec ses
rasoirs et ses instruments de nacre et de vermeil précautionneusement
disposés sur une serviette de lin blanc. Les brosses et les
peignes n'échappèrent pas, eux non plus, à cette
contemplation attentive et comme fascinée par tant de
splendeurs.

    Quand il rejoignit
son chef, celui-ci arpentait la chambre dans sa largeur en évitant
avec soin de s'approcher du cadavre. La perruque avait repris son
aplomb et les couleurs étaient revenues aux pommettes osseuses
du magistrat.

    â€“ Mon cher
Nicolas, dit Sartine, vous me voyez au-delà de tout embarras.
Vous êtes convaincu comme moi-même que ce jeune homme
s'est homicidé 12 ,
n'est-ce pas ?

    Nicolas se garda
de répondre et le lieutenant général, estimant
que ce silence valait acquiescement, poursuivit, non sans avoir, d'un
coup d'œil au trumeau, vérifié l'équilibre
reconquis de sa coiffure.

    â€“ Vous savez
bien ce qu'il advient dans ces circonstances. On présume un
suicide, le commissaire averti se déplace sans robe et
dresse-procès-verbal sans le moindre éclat ni
publicité. Ensuite, et sur la prière de la famille
éplorée, mais tout autant pour sauvegarder les
convenances, le magistrat oblige le curé de la paroisse, ou le
fait prier par son diocésain, de prononcer le service funèbre
du défunt et de l'enterrer sans bruit, Vous n'ignorez pas non
plus...

    â€“ Que,
jusqu'à une époque récente, les corps des
suicidés, considérés comme les assassins
d'eux-mêmes, étaient passés en jugement et
condamnés à être traînés sur une
grosse échelle de charpente tirée par une charrette. Je
sais cela, monsieur.

    â€“ Très
bien, très bien. Cependant, nonobstant cette exhibition
affreuse sur la claie 13 ,
le corps était pendu et interdit de sépulture en terre
consacrée. Le progrès de l'esprit philosophique et la
sensibilité du siècle ont heureusement épargné
depuis peu à la victime et à sa famille ces extrémités
fâcheuses, et contraires à la pudeur. Or, c'est un drame
de cet ordre dont il s'agit. L'aîné d'une noble famille,
promis à un destin brillant, vient de disparaître. Son
père est proche du trône, ou plutôt de l'entourage
du dauphin. Sottement - car on ne parle pas de mort aux personnes
royales -, le suicide du vicomte a été annoncé à
Madame Adélaïde, qui s'est empressée de céder
aux supplications du comte de Ruissec. Elle m'a donné, sans
excès de précautions, des recommandations que j'ai
feint de recevoir pour des ordres, qu'au demeurant la princesse n'est
pas en position de me donner. Il m'est cependant difficile d'ignorer
ses désirs et je me dois de ménager une
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