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L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb
Autoren: Jean-François Parot
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Chapitre I
    Suicide

    Â«Â Les
lois sont furieuses en Europe contre
ceux qui se tuent eux-mêmes
: on les fait
mourir, pour ainsi dire, une
seconde fois; ils sont
traînés indignement
par les rues; on les note
d'infamie ; on confisque leurs
biens. »

    Montesquieu

    Mardi 23
octobre 1761

    Le flot des
voitures emplissait la rue Saint-Honoré. Nicolas Le Floch
avançait avec précaution sur le pavé glissant.
Au milieu du tonnerre des équipages, des cris des cochers et
des hennissements des chevaux, un carrosse débouchant à
grande allure faillit verser devant lui ; une roue retomba, et son
fer fit jaillir une pluie d'étincelles. Non sans peine Nicolas
traversa la tempête des flambeaux et des torches qu'agitait
dans l'obscurité une foule de valets désireux
d'éclairer au mieux leurs maîtres.

    Combien de temps
encore, songeait-il, tolérerait-on ces manifestations
ostentatoires et dangereuses ? La cire coulait sur les habits et les
coiffures ; perruques et cheveux étaient en péril de
s'enflammer - les précédents étaient nombreux
d'incidents funestes de ce genre. Le même désordre se
reproduirait sur les marches de l'Opéra à la fin du
spectacle, plus vifs encore en raison de la hâte des puissants
à rejoindre leurs hôtels.

    Il s'en était
ouvert à M. de Sartine et n'avait obtenu en réponse
qu'une pirouette et une fin ironique de non-recevoir. Tout épris
qu'il était du bien public et de l'ordre dans la capitale, le
lieutenant général ne souhaitait pas se mettre à
dos et la Cour et la ville en réglementant une commodité
dont, à l'occasion, il usait lui-même.

    Le jeune homme se
fraya un chemin au milieu de la presse qui encombrait les degrés
du grand escalier. Elle était plus dense encore dans le foyer
exigu de ce monument construit jadis pour le cardinal de Richelieu et
où Molière avait joué.

    Nicolas éprouvait
toujours le même plaisir à pénétrer dans
le temple de la musique. Chacun se reconnaissait et se saluait. On
s'enquérait de l'affiche et, en ce temps de guerre incertaine,
les nouvelles, vraies ou fausses, étaient commentées
avec passion.

    Ce soir-là,
les propos se partageaient équitablement autour de l'avis que
les évêques de France devaient remettre au roi au sujet
de la Société de Jésus 1 ,
de la santé précaire de Mme de Pompadour et des
exploits récents des généraux - notamment de
ceux du prince de Caraman dont les dragons avaient, en septembre,
repoussé, les Prussiens au-delà de la Weser. On
évoquait aussi une victoire du prince de Condé, mais la
nouvelle n'était pas confirmée.

    Tout ce monde
éblouissant de satin piétinait la fange qui recouvrait
le sol. Aussi le contraste entre le luxe des habits et la boue
nauséabonde - faite de débris de cire, de terre et de
crottin - qui les souillait était-il déconcertant.

    Pressé au
milieu de cette foule, Nicolas ressentait le dégoût
habituel qui assaillait ses narines face au mélange des
effluves. L'odeur âcre du sol montait, se mêlant à
celles des fards et aux parfums produits par les mauvaises
chandelles, sans pour autant masquer les relents plus acides et
pénétrants des corps malpropres.

    Quelques femmes
qui paraissaient sur le point de se trouver mal agitaient
furieusement leur éventail ou respiraient les vapeurs
revigorantes de petits flacons.

    Nicolas parvint à
se dégager en se glissant derrière les
gardes-françaises en faction dans l'escalier. Il n'était
pas à l'0péra pour son plaisir, mais en service
commandé. M. de Sartine lui avait enjoint de surveiller la
salle. La représentation du jour n'était pas une soirée
banale. Madame Adélaïde, la fille du roi, et sa suite
devaient y assister.

    Depuis l'attentat
de Damiens, une angoisse diffuse planait sur la famille royale. Le
lieutenant général, outre les mouches qui peuplaient le
parterre et les coulisses, voulait disposer sur place d'un instrument
zélé possédant toute sa confiance. C'était
le rôle de Nicolas de tout entendre et de tout observer en
restant à portée du regard de son chef présent
dans sa loge. De surcroît, ses fonctions de commissaire au
Châtelet autorisaient le jeune homme à requérir
la force publique et à prendre immédiatement toutes
dispositions
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