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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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reconnais.
    — Je suis ton cousin, fils de Myriam qui est parente de ta mère Élisabeth.
    Il grimaça, comme s’il ne comprenait pas ce que je lui disais. Je répétai lentement.
    — Tu me reconnais parce que je suis ton cousin de Nazareth.
    — Je te reconnais comme l’élu de Dieu.
    Lui-même avait l’air surpris par ce qu’il disait. Il me contemplait comme une chose tout à fait extraordinaire. Et soudain, il se mit à hurler pour que chacun l’entende :
    — Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
    Il avait vociféré cela avec une force telle que j’en devins muet. Je sentis que, sur les berges, la foule s’était immobilisée pour contempler la scène. Les regards pesaient sur moi. Je ne savais plus quoi dire ni quoi faire. Je murmurai rapidement :
    — Plonge-moi vite, qu’on en finisse.
    Mais Yohanân s’exclama, indigné :
    — C’est moi qui ai besoin d’être purifié par toi ! C’est moi qui t’appelle de tous mes vœux et c’est toi qui viens à moi ! Je t’aime.
    Ce fut trop. Mes jambes chancelèrent, je perdis pied et m’évanouis. Yohanân me ramena dans ses bras sur la rive. Là, André et Syméon s’occupèrent de moi, tâchant d’écarter la foule qui voulait voir à quoi je ressemblais. Les femmes racontaient qu’au moment où mon esprit m’avait quitté, une colombe était descendue du ciel pour se poser sur mon front.
    Moi, naturellement, je n’avais rien vu.
    C’est là, en vérité, que tout a commencé…
     
    Une nuit bleue, belle et bête. Un silence qui insiste.
    Cette attente me vide. Je préférerais parler, me battre, agir… Au lieu de cela, je tends la nuque et les oreilles vers le moindre bruit, guettant le cliquetis des armes. Quoique je n’aie pas hâte de mourir, ma patience s’épuise. Plutôt la mort que l’agonie. Pourquoi les soldats tardent-ils ? Il ne faut pas longtemps pour aller du Temple au mont des Oliviers…
     
    Les renards possèdent des tanières, les oiseaux des nids, et moi, je n’ai aucun lieu où reposer ma tête.
    Après mon évanouissement, André et Syméon me harcelèrent. Qui étais-je ? Qu’avais-je fait jusqu’ici ? Pourquoi Yohanân m’avait-il désigné comme l’Élu ?
    — Je ne comprends pas ce qu’affirme Yohanân. Je ne suis qu’un mauvais charpentier et un mauvais croyant qui vient de Nazareth.
    — Es-tu né à Nazareth ?
    — Non. En fait, je suis né à Bethléem, mais c’est une histoire un peu compliquée…
    — C’était écrit, Michée l’a annoncé : « L’Élu sortira de Bethléem. »
    — Vous confondez !
    — Es-tu descendant de David ?
    — Non.
    — Es-tu sûr ?
    — C’est-à-dire… Il y a bien une vieille légende qui traîne dans la famille… qui voudrait que… Enfin, soyons sérieux ! Connaissez-vous une famille juive de Palestine qui ne prétende pas descendre de David ?
    — C’est donc toi : l’Élu sera de souche davidique.
    — Vous confondez !
    — Qu’as-tu à nous enseigner ?
    — Mais rien. Absolument rien.
    — Nous estimes-tu indignes de toi ?
    — Je n’ai pas dit cela !
    — Pouvons-nous te suivre ? Te consacrer notre vie ?
    — Hors de question !
    Il n’y avait plus qu’une chose à faire : partir.
    Je devais échapper aux bavardages, aux influences. Depuis trente ans, tout le monde avait un avis sur mon destin, sauf moi. Écrasé par les conseils, diagnostiqué comme très pieux par les uns ou impie par les autres, reconnu, ignoré, pressé, rappelé, retenu, adoré, insulté, moqué, vénéré, écouté, méprisé, interpellé, je n’étais plus un homme mais une maison vide que chacun meublait selon ses convictions. Je ne résonnais que du bruit des autres.
    J’ai fui.
    Je me suis enfoncé dans les terres incultes, là où il n’y a plus d’hommes, où la végétation est naturelle, sauvage, pauvre, où les points d’eau se raréfient, là où l’on ne risque plus les rencontres.
    Dans le désert, je ne souhaitais qu’une seule rencontre : moi. J’espérais me découvrir au bout de cette solitude. Si j’étais bien quelqu’un ou quelque chose, je devais me l’apprendre.
    D’abord, je ne trouvai rien. Je n’éprouvais que des sentiments impersonnels ; l’agacement, la fatigue, la faim, la peur du lendemain… Puis, après quelques jours, les salissures des dernières semaines s’éloignant, des habitudes frugales s’installant, je redevins l’enfant de Nazareth, cette attente pure
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