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Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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que comme un fruit de la méchanceté des
hommes. Cette idée, loin de m'être cruelle et déchirante, me
console, me tranquillise, et m'aide à me résiner. Je ne vais pas si
loin que saint Augustin qui se fût consolé d'être damné si telle
eût été la volonté de Dieu. Ma résignation vient d'une source moins
désintéressée, il est vrai, mais non moins pure et plus digne à mon
gré de l'Être parfait que j'adore. Dieu est juste ; il veut
que je souffre, et il sait que je suis innocent. Voilà le motif de
ma confiance, mon coeur et ma raison me crient qu'elle ne me
trompera pas. Laissons donc faire les hommes et la destinée ;
apprenons à souffrir sans murmure ; tout doit à la fin rentrer
dans l'ordre, et mon tour viendra tôt ou tard.
     

Troisième Promenade
    "Je deviens vieux en apprenant toujours".
    Solon répétait souvent ce vers dans sa vieillesse Il a un sens
dans lequel je pourrais le dire aussi dans la mienne, mais c'est
une bien triste science que celle que depuis vingt ans l'expérience
m'a fait acquérir : l'ignorance est encore préférable.
L'adversité sans doute est un grand maître, mais ce maître fait
payer cher ses leçons, et souvent le profit qu'on en retire ne vaut
pas le prix qu'elles ont coûté. D'ailleurs, avant qu'on ait obtenu
tout cet acquis par des leçons si tardives, l'à-propos d'en user se
passe. La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse la vieillesse
est le temps de la pratiquer. L'expérience instruit toujours, je
l'avoue ; mais elle ne profite que pour l'espace qu'on a
devant soi. Est-il temps au moment qu'il faut mourir d'apprendre
comment on aurait dû vivre ? Eh ! que me servent des
lumières si tard et si douloureusement acquises sur ma destinée et
sur les passions d'autrui dont elle est l'oeuvre ? Je n'ai
appris à mieux connaître les hommes que pour mieux sentir la misère
où ils m'ont plongé, sans que cette connaissance, en me découvrant
toujours pièges, m'en ait pu faire éviter aucun. Que ne suis-je
resté toujours dans cette imbécile mais douce confiance qui me
rendit durant tant d'années proie et le jouet de mes bruyants amis,
sans qu'enveloppé de toutes leurs trames j'en eusse même le moindre
soupçon ! J'étais leur dupe et leur victime, il est vrai, mais
je me croyais aimé d'eux, et mon coeur jouissait de l'amitié qu'ils
m'avaient inspirée en leur en attribuant autant pour moi. Ces
douces illusions sont détruites. La triste vérité que le temps et
la raison m'ont dévoilée en me faisant sentir mon malheur m'a fait
voir qu'il était sans remède et qu'il ne me restait qu'à m'y
résigner. Ainsi toutes les expériences de mon age sont pour moi
dans mon état sans utilité présente et sans profit pour
l'avenir.
    Nous entrons en lice à notre naissance, nous en sortons à la
mort. Que sert d'apprendre à mieux conduire son char quand on est
au bout de la carrière ? Il ne reste plus qu'à penser alors
que comment on en sortira. L'étude d'un vieillard, s'il qui en
reste encore à faire, est uniquement l'apprendre à mourir, et c'est
précisément celle qu'on fait le moins à mon âge, on y pense à tout
hormis à cela. Tous les vieillards tiennent plus à la lie que les
enfants et en sortent de plus mauvaise grâce que les jeunes gens.
C'est que, tous leurs.travaux ayant été pour cette même vie, ils
voient à fin qu'ils ont perdu leurs peines. Tous leurs soins, tous
leurs biens, tous les fruits de leurs laborieuses veilles, ils
quittent tout quand ils s'en font. Ils n'ont songé à rien acquérir
durant leur vie qu'ils pussent emporter à leur mort.
    Je me suis dit tout cela quand il était temps de ne le dire, et
si je n'ai pas mieux su tirer parti de mes réflexions, ce n'est pas
faute de les avoir faites le temps et de les avoir bien digérées.
Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j'appris de bonne
heure par l'expérience que je n'étais pas fait pour y vivre, et que
je n'y parviendrais jamais à l'état dont mon coeur sentait le
besoin. Cessant donc de chercher parmi les hommes le bonheur que je
sentais n'y pouvoir trouver, mon ardente imagination sautait déjà
par-dessus l'espace de ma vie, à peine commencée, comme sur un
terrain qui m'était étranger, pour se reposer sur une assiette
tranquille ou je pusse me fixer.
    Ce sentiment, nourri par l'éducation dès mon enfance et renforcé
durant toute ma vie par ce long tissu de misères et d'infortunes
qui l'a remplie, m'a fait chercher dans tous les
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