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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc
Autoren: Nicolas Remin
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d’une tierce personne, il s’approcha et fit une courtoise révérence. Alors, la dame tourna la tête d’un geste lent et il reconnut son visage à travers la gaze. Sa surprise fut telle qu’il faillit marcher sur Spartacus, occupé à déguster un gâteau aux cerises sous la table.
     
    Une fois la première surprise passée, Sissi avait très vite recouvré son calme quand Königsegg lui avait exposé son histoire – comme si, dans cette ville, de sombres complots faisaient partie de la vie quotidienne et qu’on n’avait aucune raison de perdre contenance à l’annonce de telles nouvelles. N’avait-on pas toujours l’impression, s’était-elle dit en attendant le commissaire, qu’ici chaque place et chaque café constituaient un décor où se jouait une pièce de théâtre différente ? Où les acteurs allaient saluer, puis retirer leurs masques dès que le rideau serait tombé ?
    Elle avait songé un instant à prévenir son mari du complot. Cependant, qu’est-ce que cela aurait changé ? Königsegg avait raison. François-Joseph aurait demandé des explications à Crenneville et le général d’artillerie lui aurait servi un mensonge avant d’annuler l’opération pour la répéter ailleurs et à un autre moment. Il fallait donc à tout prix lui arracher son masque de serviteur zélé ici et maintenant.
    Après avoir dicté les quelques lignes destinées au commissaire, Sissi s’était changée sans le secours de sa femme de chambre. Elle avait mis une robe simple, son chapeau à voilette, ses bottines à boutons et une cape discrète, achetée à Munich l’année précédente. Une demi-heure plus tard, l’intendant en chef et elle avaient quitté le palais royal par l’aile Napoléon et traversé la place Saint-Marc en compagnie de Spartacus, un excellent camouflage.
    À nouveau, elle avait pu constater l’effet inouï que le monde produisait sur elle quand elle n’était pas entourée de sa suite et que personne ne l’importunait de ses regards curieux. François-Joseph souffrait-il lui aussi de cette indiscrétion permanente qui empêchait de voir ? En tout cas, cet instant s’était gravé dans sa mémoire : la place sertie dans une guirlande de becs de gaz, la foule houleuse, une légère nappe de brouillard que les pigeons traversaient tels des fantômes. Une odeur de sel marin où se mêlait un soupçon fétide, pareil à la note de cœur d’un parfum, perçait derrière la note de tête des marrons chauds qu’on vendait à des stands.
    Le Florian en revanche, comme tant de choses qu’on s’imagine merveilleuses et qu’on aborde le cœur battant, l’avait déçue. Les salons successifs, presque aménagés comme de confortables salles de séjour, étaient certes jolis, mais nulle part elle n’avait aperçu de Vénitiens plongés dans des discussions enflammées, en train de concevoir des pamphlets séditieux et vociférant des hourras à la gloire de Garibaldi à chaque gorgée de café, comme François-Joseph le dépeignait chaque fois qu’il évoquait ce lieu. Le seul acte de résistance qu’elle ait pu remarquer était commis par un homme d’apparence fragile, qui dégustait un morceau de gâteau au chocolat tout en lisant la Stampa di Torino . Toutefois, elle ne pensait pas que la police de Venise intervînt pour si peu. D’ailleurs, le Florian était étonnamment vide. Sans doute les habitués avaient-ils préféré ne pas venir à cause du contrôle à l’entrée.
    Une fois que Königsegg eut inspecté l’endroit avec nervosité, ils s’étaient installés dans la salle orientale qu’ils partageaient avec un couple (russe ?) assis en silence face à deux petites cafetières (ici, on ne servait que des cafetières) et deux choux à la crème.
    Quand le serveur était venu prendre leur commande, elle avait insisté pour obtenir une coupe de glace italienne , nom inoffensif donné à une création anti-austro-hongroise qu’on appelait en dialecte vénitien coppa Garibaldi et qui se composait de glace à la pistache verte, de sorbet au citron blanc et de glace à la fraise rouge. De cette manière, il ne se douterait jamais qu’il avait affaire à l’impératrice d’Autriche. Königsegg, qui désapprouvait bien entendu son choix et tirait toujours une mine de six pieds de long, avait commandé de manière démonstrative un Kaiserschmarrn 1 avec de la compote de pommes (car ils en vendaient aussi).
    Peu après dix heures, le commissaire s’était approché de
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