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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle
Autoren: Joseph Kessel
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fût confirmée par le Reichsführer de vive voix
et personnellement à un délégué du Congrès Mondial Juif.
    Kersten savait bien qu’il n’avait
jamais osé tentative plus difficile. C’était affronter le maniaque sanguinaire
et l’objet de sa manie. C’était prétendre surmonter chez Himmler la haine et le
dégoût pathologiques pour les Juifs, la conscience d’avoir été le bourreau de
leur race, sa terreur de Hitler.
    Mais, dans l’incroyable jeu que le
destin avait engagé cinq années auparavant, le maître, en cet instant, n’était
plus le Reichsführer, le grand chef des S.S. et de la Gestapo, le ministre de
l’Intérieur du III e  Reich, et le souverain des camps de
concentration et des V 2. C’était un étranger sans aucun pouvoir, un gros
homme débonnaire : le docteur Félix Kersten.
    Le 17 mars, pendant l’un de ses
derniers traitements, le docteur demanda de la façon la plus naturelle à
Himmler :
    — Que diriez-vous si un délégué
du Congrès Mondial Juif venait mettre complètement au point avec vous la
libération des Juifs que vous m’avez promise ?
    Himmler fit un bond sur sa couche et
cria :
    — Mais vous êtes fou,
voyons ! Fou à lier ! Mais Hitler me ferait fusiller
sur-le-champ ! Quoi ! Les Juifs sont nos ennemis mortels et vous
voulez que moi, le second dans le Reich, je reçoive un de leurs
représentants ?
    Kersten secoua la tête.
    — Ce n’est plus le moment,
dit-il, pour l’Allemagne, ni pour vous, de compter qui sont les amis et qui
sont les ennemis. Vous ne devez plus avoir qu’un seul souci : l’opinion du
monde et de l’Histoire. Hé bien, si après tout ce qui a été fait en Allemagne
contre les Juifs, vous recevez un de leurs représentants, l’opinion dira :
« Il n’y a eu dans le III e  Reich qu’un seul chef
germanique vraiment courageux et vraiment intelligent : Heinrich
Himmler. »
    Déjà le Reichsführer n’était plus
sûr de lui, hésitait. Il demanda :
    — Vous le croyez
vraiment ?
    — J’en ai la certitude absolue,
dit Kersten.
    Et déjà Himmler acceptait la
conviction du docteur pour sienne. Mais restait encore la crainte du Führer, du
roi des fous.
    — Comment, comment ferai-je
pour que Hitler ne le sache pas ? s’écria Himmler.
    Le docteur tapota doucement le
ventre flasque et douloureux qu’il triturait :
    — Je suis sûr que vous en
trouverez le moyen, dit-il. Votre pouvoir est assez grand pour cela.
    À la veille du départ de Kersten, la
décision de Himmler était prise. Il dit au docteur :
    — Prévenez le Congrès Mondial
Juif que je recevrai son délégué. J’arrangerai tout pour que sa venue reste
absolument secrète. Il aura un laissez-passer. Et je jure, sur mon honneur,
qu’il ne sera pas touché à un seul de ses cheveux. À une condition : qu’il
soit avec vous.
    Il fut décidé que la rencontre se
ferait à Hartzwalde et qu’elle aurait deux témoins : Brandt et Schellenberg.
    Ainsi, cette fois encore, Kersten
l’emportait.
    Mais on peut se demander quel
sentiment essentiel avait exigé de lui ce triomphe. Car, en vérité, le motif
qu’il avait donné à Himmler ne suffit pas à expliquer cette volonté d’imposer
une rencontre, une confrontation presque sacrilèges entre le représentant d’un
peuple supplicié et le grand ouvrier de son supplice. N’y avait-il pas chez
Kersten l’exigence obscure, inconsciente de se démontrer à lui-même jusqu’où
était arrivé son pouvoir ? Et aussi et surtout de donner vie à ce mythe
expiatoire : l’envoyé des victimes honoré par leur bourreau ?
    Et Himmler ? Pourquoi allait-il
à ce reniement complet, à cette abjecte humiliation ? L’opinion du monde
civilisé ? Sa figure, sa stature, pour l’avenir ? Comment pouvait-il
supposer qu’une rencontre si brève – et qui, au demeurant, devait rester
dans un secret absolu – allait l’excuser au regard des nations et de
l’Histoire ? Et ne serait-il pas plus vrai que, né pour l’obéissance la
plus aveugle, hanté toute sa vie par le besoin éperdu, organique, d’être
commandé, il lui a été nécessaire, quand, enfin, ses yeux se sont ouverts sur
le désastre inéluctable et sur le gouffre où allait rouler bientôt son idole
déchue, d’accepter, pour une soumission suprême, un autre maître ?
     

CHAPITRE XIII
Le juif Masur

1
    Le 22 mars 1945, Kersten
atterrissait à Stockholm. Il vit Gunther le soir même et lui résuma les
engagements
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