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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers
Autoren: Jean-Pierre Charland
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quatre heures, il marchait sur le trottoir de la 4e Avenue parmi de rares parents, ceux des élèves les plus jeunes de l’école des frères. Ceux-ci sortirent les premiers, une petite meute de garçonnets rieurs en culottes courtes, heureux de retrouver leur liberté pour neuf bonnes semaines.
    Après quinze minutes, Fernand commençait à se sentir un peu ridicule, planté ainsi devant l’école Saint-Charles, ou pire, suspect. Puis ce fut au tour des grands de sortir sous l’œil attentif d’un frère des Ecoles chrétiennes. A cet âge, les enfants devaient faire preuve d’une maîtrise de soi suffisante pour réprimer tous les mouvements de joie intempestifs.
    La discipline prévalut pendant une dizaine de verges, puis le groupe s’égailla lui aussi bruyamment. Le notaire fixa son attention sur un garçon plutôt grand, les cheveux d’un blond très clair. Celui-ci remarqua l’intérêt dont il était l’objet, au point de s’arrêter pour le regarder aussi.
    — Qu’est-ce qu’il y a? demanda un camarade. Tu connais ce type ?
    — Non, je ne l’ai jamais vu.
    — Cela doit être un vicieux. Tu sais, le père Herman nous en a parlé.

    Fernand ne perçut pas les mots, mais en devina le sens.
    Son regard s’accrochait aux grands yeux bleus, ne pouvait s’en détacher. L’enfant haussa les épaules, puis tourna les talons pour continuer son chemin.
    Bien sûr la ressemblance n’était pas parfaite. Mais quelque chose, dans ce visage régulier, rappelait Eugénie.

    Chapitre 3

    Le soleil pénétrait par les vitrines donnant rue de la Fabrique. Les clientes entraient, nombreuses, dans la boutique ALFRED, afin de contempler les chapeaux de paille à larges bords, les ombrelles en soie et en cotonnade, ou les gants en dentelle. Certaines choses ne changeaient guère, constatait Mathieu : les ventes obéissaient au climat radieux.
    — Tu vois, observa la mère en passant près de la caisse, nous avons bien fait d’ouvrir.
    Le sujet avait fait l’objet d’une longue discussion, lors du repas du dimanche précédent. Le jeune homme inclinait pour la fermeture complète le jour de la Saint-Jean-Baptiste, alors que la propriétaire demeurait attachée à la tradition établie par son défunt mari plus de vingt ans auparavant : accueillir les clientes pendant la matinée.
    — Nous ratons la messe solennelle à la cathédrale, protesta son fils, un sourire narquois sur les lèvres.
    — Voilà une autre de tes nombreuses métamorphoses : vouloir assister à la messe un mardi !
    — La province semble avoir changé plus que moi.
    Ronger des balustrades devient essentiel, dans les affaires.
    Notre absence fera jaser.
    Son fils avait raison. Un nombre croissant d’entreprises fermaient leurs portes le jour de la fête du saint patron des Canadiens français. Deux religions mobilisaient maintenant le peuple: le nationalisme faisait l’objet d’un culte aussi exigeant que le catholicisme. Le 24 juin, il convenait de sacrifier aux deux, ou bien risquer un double ostracisme.
    Marie se tourna vers une cliente en arborant son meilleur sourire. La nouvelle venue remarqua:
    — Quelle surprise de vous trouver ouvert aujourd’hui !
    Le ton contenait un reproche implicite. Ses lèvres sèches s’ouvraient sur des dents ébréchées.
    — Vous savez, les affaires ont été difficiles, ces derniers mois. Il y a huit semaines à peine, nous étions encore aux prises avec la grippe espagnole. .
    Mieux valait évoquer ces mois de misère. En février, mars et avril, la contagion sévissait encore dans la ville, prélevant une nouvelle moisson de jeunes vies.
    — Cela a été terrible, convint la cliente. Votre commerce n’a pas trop souffert, j’espère ?
    — Avec un surcroît de travail, nous arriverons à compenser les pertes.
    — Au moins, vous pouvez compter sur l’aide de vos enfants.
    Elle portait les yeux sur le grand jeune homme debout derrière la caisse. Elle continua après une pause :
    — Cela ne se remarque presque pas. .
    Evoquait-elle la morosité sur le visage ou le petit handicap ?
    Marie réussit à maîtriser son impatience au moment de dire :
    — Que puis-je faire pour vous ?
    — . . Des mouchoirs. Au retour de l’été, la morve coule comme la sève d’un érable.
    La précision paraissait inutile, la femme tenait un carré de coton à la main et, tout en parlant, le portait à son nez rougi.
    — J’ai justement un nouvel arrivage, un tissu très doux.

    La propriétaire
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